2009/03 - Article - Ecclésiologie de Calvin

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Exposé présenté lors du pélerinage Genève-Annecy-Taizé "Sur les pas de trois témoins de la foi : Calvin, St François de Salles et Frère Roger", du 18 au 21 mars 2009 avec l'équipe du service œcuménique diocésain.  

Ecriture et Tradition

Le principe majeur de la Réforme " sola scriptura " pour Luther et son expression sœur " tota scriptura " pour Calvin conduit inéluctablement à mener une réflexion sur la " tradition ". Pour les Réformés cette réalité, telle qu'elle est véhiculée par les " papistes " donc dans les cadres de la structure traditionnelle (ministère ordonné fondé sur la succession apostolique et le gouvernement), n'a plus de raison d'être, tandis que pour les Catholiques le rapport à la tradition est un prolongement de la compréhension de ce que nous avons trouvé dans les Ecritures. L'idée de Calvin était de rompre avec la tradition de l'Eglise, mais cela ne reflète pas l'ensemble de sa pensée théologique, il demeure par exemple très attaché à la réflexion des Pères de l'Eglise pour nourrir sa pensée théologique. Ce renoncement avec la structure traditionnelle implique cependant que le rapport normatif à la foi passe uniquement par les Ecritures. Or les Catholiques perçoivent dans la tradition comprise à leur façon quelque chose de positif, pour eux, c'est une sorte de prise de conscience qui passe par des canaux culturellement marqués. Même si Calvin dans son rapport à la tradition fait table rase (tel un encéphalogramme plat), l'homme a malgré tout besoin  d'un moyen pour pénétrer  et découvrir la vie de Dieu. Pour les croyants catholiques cela ne se peut que grâce aux représentations et concepts  environnementaux  (le décor pour faire simple).  Le grand bénéfice que les catholiques  tirent de la critique de la tradition catholique par Calvin est celui de l'attention attirée par le réformateur sur la distinction entre ce qui relève de la pure contingence  historique et encombre (les superstitions etc.) et ce qui est porteur du message spirituel, tel qu'il est déjà présent dans les Ecritures.  

Philosophie et théologie

Le rapport normatif des compréhensions dans la foi au Christ (il se nourrit de sa présence)  se transforme et évolue forcément au cours des temps. Le rapport au sacrement s'appuyait sur la philosophie ontologique (de l'être) mais celle-ci est supplantée par la philosophie nominalise à la fin du Moyen-Age. Le nom est une appellation extérieure aux choses, ce qui fait qu'il n'y a pas de relation entre le signifiant et le signifié, cela va donc à l'encontre de tout principe universel, mais alors même  la raison n'est plus universelle (cf. Benoît XVI dans raison et foi). En revanche la philosophie grecque a quelque chose d'universel envers le fonctionnement humain, et c'est en ce sens que Benoît XVI réagit. Nous voyons donc bien que la réflexion philosophique se tient au cœur de l'enjeu de la Réforme, c'est pourquoi celle-ci va se déployer sur la ligne de fracture entre la philosophie et la théologie. Pascal est le dernier à maintenir le lien entre théologie et philosophie. Alors Descartes (avec la nécessité du doute), Spinoza (avec son postulat sur l'évidence) qui  met de coté la théologie car il traite davantage du déisme, Kant puis Hegel détricotent ce lien. Dans l'histoire de la philosophie il y a trois grandes phases dont chacune marque une étape de l'évolution de la réponse à la question " ou se trouve la clef pour affronter le sens de la vie, où sont les idées susceptibles de fournir des réponses ? ". Pour les grecs  ceci se trouve sans dans la nature (Aristote), soit dans le monde  de l'au-delà (Platon), alors que pour le monde moderne elle se trouve  dans l'esprit humain (Descartes) donc dans la conscience qui s'avère être un moyen de concrétiser l'expression humaine, et celle-ci est au cœur de l'enjeu de la foi.  Du reste Calvin a fait partie des humanistes qui ont essayé de négocier cette relation entre philosophie et théologie.

La grâce

Pour Calvin dénoncer la tradition comme une sorte de carcan, c'est une prise  de conscience de l'humain dans son autonomie. Même Sartre pensait que si Dieu existait, rien ne dispensait l'homme de sa propre responsabilité. D'ailleurs le défi se place à ce niveau pour les Catholiques. A partir de là, Calvin allait plus loin que Luther, Il est difficile pour les catholiques de comprendre les notions de grâce gratuite et de grâce ontologique  offertes aux hommes croyants. En effet cette dernière est invisible tandis que les signes, eux, sont visibles. A partir du concile de Trente (1545-1563) il est dit que  la foi est bien un don de la grâce et c'est à ce titre qu'elle est un fondement de notre salut. Cependant cela n'exclut pas la nécessité des sacrements (baptème, eucharistie) donc de la chose visible, or pour Calvin ce n'est pas le cas. Si nous faisons un effort pour entrer dans le raisonnement de Calvin, la grâce se suffit à elle-même : pour les réformateurs la grâce identifiée à quelque chose est de l'idolâtrie. Quand nous abordons la question de la médiation sacramentelle, c'est impensable pour Calvin car l'idée de Dieu comme " Tout Autre " ne se  réduit pas à notre imaginaire, Dieu n'est-il pas souverain et libre ? En vertu de cela même l'Eglise n'a aucun rôle dans la communication de la grâce. Tout soupçon de transgression de cette ligne rouge est considéré comme superstition et ce fut le combat de Calvin et Luther. A cette époque, tout comme sans doute et avant et après, l'Eglise Catholique était entachée d'excès  à cause de l'incapacité du clergé, des évêques et du pape, et ceci malgré des efforts fournis, à maîtriser les comportements superstitieux d'une religiosité idolâtre. Cette distorsion est irréconciliable entre la grâce donnée librement par Dieu (sola fide) et les signes visibles, car la grâce de Dieu ne peut être enfermée dans un objet matériel, cela a une répercussion sur la Sainte Cène.

Eucharistie -Sainte Cène

En fait la théologie de la Sainte Cène permet de comprendre la théologie de l'Eglise.  Le dilemme consiste à  reconnaître ou non si le Christ est bien présent dans les espèces (pain et vin).  A l'initiative de Philippe de Hesse en 1529, Luther et Zwingli vinrent au château de Marbourg pour discuter de leurs thèses.
     -Pour Luther, cette présence est réelle, il croyait à une impanation et une consubstantiation (" hoc est corpus meum ").
     -Pour Zwingli, cette présence n'est pas réelle, il interprète symboliquement les mots du Christ. 
La position de Calvin était médiane, il parlait de présence spirituelle du Christ, rendue réelle par la présence du Saint-Esprit.
Il faudrait voir comment ils se référaient à Saint Augustin qui distinguait trois corps du Christ:
     le corps physique
     le corps eucharistique (présent à l'eucharistie)
     le corps glorifié.
L'union entre le corps eucharistique et le corps glorifié ne se fera qu'au moment de la parousie.

Conception de l'Eglise

La vision de l'Eglise chez Calvin réside dans le rapport entre l'esprit du croyant et son signe extérieur, c'est-à-dire l'Eglise visible et l'Eglise invisible. A ce propos le pasteur Jacques Courvoisier (1964) dans un colloque sur la dialectique dans l'ecclésiologie de Calvin, parle d'irréconciliabilité entre l'Eglise visible et l'Eglise invisible. Pour les catholiques elle tient plus de la matrice que de la réflexion théologique. Pour Calvin l'Eglise est sociologiquement visible alors que l'Eglise invisible est " Una sancta ". Cette  dialectique signifie que l'Eglise  naît à tout moment -la grâce circule, la prédication (écritures) est assurée, les sacrements sont célébrés- ce va et vient se fond  dans une dialectique entre Dieu, Una Sancta et l'homme. De fait l'Eglise visible est sociologiquement repérable et Una Sancta épouse l'homme, elle s'incarne par la prédication et les sacrements car elle doit s'affirmer dans une réalité sociologique sinon elle n'existe pas. Calvin est allé très loin dans ce sens et dans ses héritiers seulement  Bonhoeffer serait aller plus loin ou plutôt autrement ? (ceci mériterait un autre développement)
Calvin traite ainsi de la question de l'Eglise par deux voies au moyen de la dialectique. La grâce n'est pas dans ce signe, elle l'accompagne.
La théologie catholique affirme l'existence d'un lien dynamique d'échange entre Dieu et l'homme qui se donne en Christ : l'Esprit Saint lui-même. Mais elle témoigne aussi  de la triple mission de l'Eglise dont parle le Concile Vatican II qui est un peuple composé de fidèles, qui se formule en trois mots : Prêtre, Prophète et Roi (Lumen Gentium 34, 35, 36).

Les indulgences représentaient, dans l'Eglise catholique, une réponse à quelque chose qui faisait partie de la nature humaine, l'angoisse de la mort et de la damnation. Néanmoins l'idolâtrie a ses limites, ce que l'on recherche avant tout c'est la pureté, mais en vertu de la conscience de la Miséricorde divine, " soyons donc indulgent avec les indulgences ! ".

Prédestination

Les concepts théologiques de la double prédestination,  du salut éternel et de la damnation éternelle, en vertu de la décision souveraine, même Calvin ne s'y est pas véritablement attaché car c'est une voie sans issue. Ce principe d'élection divine qui consiste à ne sauver que quelques élus touche directement l'homme, car elle est binaire. Jacobus Arminius, (initialement disciple de Théodore de Bèze), continué par ses partisans, s'était opposé à cette idée.
Le synode de Dordrecht en 1618 s'est conclu sur le rejet des positions arminiennes et a précisé la doctrine de la réforme.
Le concile Vatican II  en 1965 a réaffirmé le salut pour tous.

Conclusion

Tout ce qui vient d'être dit se place dans un contexte historique donné. Le livre est au centre et le sacrement est l'expression de l'Ecriture. La différence entre l'Eglise Réformée et l'Eglise Catholique est que pour cette dernière, la communauté est marquée de façon constitutive par le ministère ordonné. C'est à partir de là que se forge la vie chrétienne de la communauté. Le pasteur est consacré mais il ne l'est pas à vie, tandis que le prêtre est ordonné à vie.