2011/05/19 - Journal - Béatification à Rome

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Dans un ciel gris, puis sur une terre verte, des promesses et des leurs inaccomplissements. De retour à Paris, par avion depuis Rome, par envie de partager avec tant d’autres. Une aventure unique qui ne cherche pas à se singulariser. Juste participer à un commun élan du peuple qui par son serviteur soupire après Dieu lui-même.

Ce voyage n’était pas du tout certain. Certain était le doute sur la pertinence d’un tel choix : y aller était tentant, ne pas y aller rageant et laisserait des regrets. Y être ou ne pas y être, après tout, cela se vaut. Partir samedi après-midi et ne rentrer que lundi tout aussitôt après. C’est consentir à suspendre, à ne pas vibrer avec, à s’interdire. Il y aurait tant à dire ! Trouver des remplaçants où il le fallait, se contenter d’annuler la présence là où on le pouvait… Être là-bas sans être ici. Est-ce une tentation devant l’accomplissement de la mission ? dire non, merci ! et si la tentation était de l’autre côté ? laquelle des deux devait  finalement feinte d’être écoutée ?

Dans la voiture avec Georges au volant, me voici sur la route de Rome. Là aussi j’ai hésité, demander à quelqu’un d’autre. Après tout prendre ce qui  se trouve sous la main, ça c’est aussi un choix, c’est aussi un destin épousé afin de ne pas jouer au « looser ». Contrairement aux apparences, Georges conduit sûrement mieux qu’il y a encore quelques semaines. Georges commence a ressentir les effets des médicaments sur sa mobilité réduite depuis plus d’un an progressivement. Juste il y a un mois, un premier avril, là aussi c’est drôle ! Parkinson, comme chez le pape, on n’en meurt pas, mais c’en est déjà une annonce très explicite. Désormais, vous êtes cités à la barre de votre conscience. Vous allez chercher en toute hâte sa raison  et vôtre raison.  Les deux en une sublime connivence. De l’implacable, de l’aimable à l’amiable, pour vous arranger votre vie. Comme vous pouvez, comme elle vous permettra demain et surtout aujourd’hui.

Aller à Rome pour prier, pas de mal à cela. Mais, en attendant, prier dans l’aéroport. Valise légère, juste de quoi occuper son espace pour un habit qui ne fait pas le moine et quelques autres broutilles. F2 comme dans le jeu de bataille navale. Touché, mais pas coulé, sur tout le temps qui n’arrête pas de s’écouler avant que le retard soit dignement absorbé et tous les regrets du temps perdu, déjà maintenant et surtout juste après notre arrivée, résorbés, dégourdis. Ambiance de fête presque commencée et déjà entachée par une suspicion sur l’identité réelle, unique, simple, sans équivoque d’Aurélia. France – Italie, Paris – Rome, Aurélia connaît le trajet, elle connaît les deux pays. L’un qui l’a vu naître dans son corps, dans sa langue, comme le lait, maternelle. L’autre la voit toujours être au centre de sa vie en lui donnant le pourtour, le rivage, l’horizon, le point de chute, le point d’encrage. Juste pour un peu, juste pour longtemps, juste avec le temps qui l’amènera au prochain printemps. L’italien de la jeune fille, le  français de l’épouse. Est-ce la même ? Vous, les autres, partez, nous nous occupons de la dame ! Nous la retrouverons dans l’avion qui est plein des alluviens français charriés par les grandes marées de la convergence vers la Méditerranée. Vers le Sud de la mare nostra, le centre tellurique. L’enfant qui dort, c’est un enfant - qui ne  pense pas -  au  bonheur qu’il procure à ceux qui partagent avec lui, ou certainement c’est l’inverse, la même cage sonore. Hélas, la cage réveille mais n’endort pas. Deux heures d’effets spéciaux prodigués par la bonne volonté de tout le monde et les caprices de quelques uns. A moins que ce ne soit l’inverse, auquel cas il faudrait faire une symphonie de capricio, comme à l’amour du prochain. L’avion servant d’un majestueux aérien edificio.

Il ne suffit pas d’atterrir, il faut encore rentrer sur la surface de la croûte terrestre qui n’a rien d’un transport divin, céleste. Trouver le bon canon pour aboutir, comme les globules rouges, d’efforts sur la rampe d’acheminement vers les extrémités des articulations. Les tickets de bus ne sont pas pour le train. Les taxis à la régulière ne sont pas plus chers que le train. Mais nous ne le savons pas. Ni l’un ni l’autre ne nous sont connus dans  toute  leur vérité crue, nue. Billet à 14 € par tête ou la moitié par bras ou pieds. Tout au long du trajet non stop, nous brassons de l’air avec les pieds suspendus à l’annonce de la fin. Termini est un terme qui ne se décline pas à l’infini. Quand c’est fini, c’est fini mais pas pour nous. Taxi ou bus. Bus, pas bus 50-50. Les « bussiens » ont gagné de l’argent. Mais ils ont perdu en émotion. Les embouteillages, une femme taxi nous en avait déjà prévenus. C’est une manière discrète et évidente à la fois  dont peut-être seulement les Italiens ont le secret, de nous annoncer que la rallonge ne portera pas seulement sur le temps mais aussi au compteur. Mais justement de compteur il n’y en a pas. Je suis côté chauffeur et je le remarque, ne dis rien. Laissons venir. Bloqués devant Via Conciliatione, faisons le tour devant le Château d’Ange. Ce n’est pas tout à fait céleste. La machine à plein gaz, les millimètres en plein de confiance. Les foules se massent partout autour de la place. Nous passons devant la radio Vatican. C’est bon à retenir. Je dois y être le lendemain à 19h. Enfin, via Aurélia, comme notre Italiano-française. De plus en plus à nos aises. Certes en retard. Pas du tout sur le point de nous rendre à la veillée, au Colisée. Sûrs de devoir trouver le restaurant pour substantiellement compléter ce qui se donnait à apprécier culinairement dans l’avion. Même pas trois fois rien ! Notre tranquillité toute relative est troublée par la soudaine décision du chauffeur de ne pas nous acheminer jusqu’au bout, mais de nous laisser  quelques numéros avant. Bons prétextes, les travaux, la voie rétrécie. Et nous, bannis, surtout de notre plein gré. Mais pas en pleine liberté. Bon gré, mal gré, il accepte la somme diminuée de presque la moitié. La tricherie à la main, les billets de cinq euros à la place de vingt qui vient de lui être remis et qu’il brandit maintenant pour réclamer sa scabreuse pitance. Reste 200 m à faire et nous y voilà. Enfin. Réception charmante, italiano-française. Les clés, les chambres, les valises et nos corps. La jonction est faite. Pour un petit quart d’heure. Puis, sur la descente, non pas vraiment aux enfers. Dans un Papa Rex où règne papa mobile de la chanson populaire, d’opérette, de voix fortes, comme le corps de la chanteuse d’une ancienne ou future, dans un autre registre, prima donna. Les oreilles font le gros dos. Les gosiers se déploient comme les klaxons dans un vacarme carnavalesque. Nous sommes heureux de nous retrouver avec tant d’autres. Fondation Jean-Paul II, c’est le cadre dans lequel nous nous sommes réunis pour être à Rome et pour y être émus. Chacun à sa façon, chacun dans sa langue de sentiment à partager ou de sensations à consolider, des raisonnements à conduire. Retourner à pieds aussi. Nous remontons la via Aurelia. Trous, noir, phares, les pieds, les yeux, les bras. Tout se joue là.

La nuit est courte. 407 sera vite orphelin. Réveil à 4h30 pour être à 5h aux barrières. Quel plaisir de penser que chercher à ne pas être en retard cela relève de la plus haute importance. Que d’être plusieurs heures à attendre le début, d’ailleurs à ce sujet les avis divergent de 30’, cela relève de la plus parfaite stratégie. C’est Martin qui en a décrété de la sorte. Très gentiment, sans appel dans mes oreilles. Et je m’y suis rallié. Sans regret aucun. Équipé de nos habits réglementaires pour avoir droit à la place St Pierre. Sauf que je n’ai pas de surplis. Or, ceci n’est pas optionnel. Je le vois sur les billets en latin. On verra ! N’oubliez pas de revêtir votre surplis, dit-il d’une voix convaincue de la presque inutilité d’une telle injonction. Bien sûr je fais mine d’aller dans sa direction. Lui ne me poursuit pas, il y a tant à faire quand on est un heureux fonctionnaire. Entassés comme des sardines, côté à côte avec des montagnards, leur habit les trahit, de la région de Cracovie. D’autres Polonais, il y a aussi des hispanophones, des Italiens et certainement  bien d’autres. Mais être à la bonne place, c’est être à la barre qui délimite le passage de part et d’autre de la place.

Nous y voilà.  Bien cernés par deux indiens. Un prêtre de Passau. Après avoir étudié la philo à Rome, il a filé pour quelques années en Allemagne avant d’échouer sur le sud continent asiatique. Ils ont les premières places. Je suis juste second. Pas si mal. Devant eux, des jeunes prêtres et de frères d’une congrégation  www.michaelici.pl on pouvait lire sur leurs casquettes qui tant bien que mal les protégeaient du soleil. Derrière, diocèse de Kalisz, bien représenté. Vous connaissez ? Arthur K ? oui. Voici les présentations qui se poursuivent. L’un est directeur de la radio diocésaine. Nous ne sommes pas affiliés à aucune chaîne, indépendants, libres. Heureux. Votre évêque, Théophile W, il a été mon professeur au séminaire. Il est à la retraite. A côté, Gregor, notre ‘kazak des services diocésains’ converse aisément en espagnol avec les Argentins et en italien aussi. Il me fait un cours sur la nonciature. La question vient après les détails donnés par lui pour sa vie de formation à Venasque puis à Rome en droit canonique. L’Indien demande l’adresse, il voudrait visiter Paris. Passau est aussi à visiter. Pendant ce temps-là,  longue agitation sur la place qui se remplit d’heure en heure, les tracteurs, les camions, les ouvriers peu à peu disparaissent de la circulation.

Le corps du Christ miséricordieux se trouve devant l’autel en peinture. Le portrait de Jean-Paul II se trouve sur la façade entre deux colonnes de verdures rampantes et deux points de fleurs accrochées dans le vide. Le mur soutient.  A gauche de l’autel,  les cardinaux et évêques. A droite, les officiels, plus de 40 pays représentés : la Reine de Belgique est en blanc cassé. Seulement les têtes couronnées peuvent porter des robes claires. Pour les autres, le noir est de rigueur. Perles pour seuls bijoux. Gregor connaît tout cela. Lui, c’est le fondateur de St Edigio, s’écrit Martin. Quelle belle figure d’Eglise, un laïc, t’as vu Lech Walesa ? Et Fillon avec deux autres ministres devrait être là. Robert Mougabe du Mozambique, interdit en Europe a bravé la loi trop pesante pour lui. En face de nous, des officiels de seconde et troisième mains, dont la noblesse romaine.

Passe-moi ton bréviaire ! il aura été amorti, son port, sa présence. Puis Machenaud, les Cariot sont là aussi, de passage, disparaissent dans la foule, Pierre M. seul revient. Question de place. C’est notre évêque. Il nous fait signe. Une fois interpellé de façon sonore et gestuelle, il vient en compagnie de deux photographes qui travaillent pour Sigma, banque de données de photos. Ils s’y donnent à cœur joie. Nous sommes tous très joyeux et ecclésiastiques, cela se voit.

Trois hélicoptères  tournent, sur les toits côté sud, une ligne de caméra de reporters du monde entier. Côté nord, départements du Pape. Lumière dans sa fenêtre. Sur le toit du monde, des religieuses. Triées sur le volet. Mais personne n’est pas là pour s’envoler au ciel. Ou plutôt juste avoir de quoi apercevoir d’en haut ce qui se fait en bas, sur terre d’aussi exaltant, d’aussi spectaculaire. Les cloches sonnent, les prières deviennent inaudibles, les chorales chantent, la musique se déverse. La place est bercée par des résonances latentes. Bien avant, on a vu la papa mobile descendre. Maintenant elle remonte la douce pente que le pontife absorbe dans son geste de bénédiction. Plusieurs photos. Les Suisses aux couleurs de kermesse du folklore d’autrefois.

10h27 : l’annonce de la béatification, homélie, silence prodigieux, communion dans une cohue, les chaises bousculées. Les prêtres ont droit de communier mais pas de concélébrer. Derrière moi, un prêtre marmotte les paroles de consécration en polonais. Pas de communion dans la main, me lancent les Polonais de Kalisz. En effet, j’ai vu comme lui que le prêtre a refusé de la donner et a fourgué la Sainte Hostie dans la bouche. Gregor s’approche au geste de main. Refus. Bouche. J’y vais. Pareil. Je suis traversé d’une grande émotion. Sentiment d’indignation, de colère intérieure. Je n’aurais jamais pensé que cela irait jusque là. C’est la fin d’une époque ou le début d’une autre. Je prie, mais prier n’a rien de paisible, je prie pour les paroissiens, pour les baptisés, pour les amis, ceux de la Pologne, ceux de la France et d’ailleurs. Je prie et je rumine. J’ouvre les yeux, un autre prêtre s’avance  avec les mains ouvertes pour accueillir  la communion. En face, ce n’est plus le blanc de tout à l’heure, c’est un légèrement basané, un sud américain. Il voit, il réfléchit très vite, il décide, il donne la communion dans la main. Je n’en reviens pas. De nouveau, tout autant bouleversé, je reprends le chemin de mon raisonnement. Un soulagement profond. Comme celui qui a suivi la découverte de mon agenda que j’avais cru perdu au restaurant après la béatification, ou pire volé sur le chemin en traversant la place St Pierre ou les journalistes nous interpellent pour une brève interview. Vous allez vous recueillir devant le cercueil ? Non pas vraiment, pas maintenant mais demain. Hélas, nous ne pouvons pas y aller du tout.

Les retrouvailles au restaurant, il est 13h30, à la table à côté, trois femmes australiennes et philippines ; échanges d’adresses, l’une était à Manille pour voir le Pape, la philippine : moi, je ne peux que faire  bonne mine. Après la sieste si méritée, mais suivie d’une découverte, celle de l’absence de mon agenda ! Radio Vatican, là où Jean-Paul II se rendait si souvent. Invité par Elodie Chapelle (Christiane T y est pour quelque chose) en compagnie de Mgr Brincard du Puy, du confesseur franciscain, et deux journalistes, Isabelle S. du Figaro hors série et un autre de radio Vatican. Vous êtes pallottin, l’évêque ne tarit pas d’éloges, brèves mais appuyées. Franciscain a préparé tout un discours. Elodie l’arrête. L’Évêque parle en grand connaisseur de Marie, de la mystique et de la spiritualité du Pape. J’essaie de me situer un peu en franco-polonais apportant quelques faits de la vie du pape. Elodie est très contente. Je pensais bafouiller plus. Après toute la fatigue. Martin rencontre l’évêque. Isabelle me donne sa carte. En bonne catho, elle s’occupe aussi de l’adoration eucharistique pour les jeunes. L’évêque me demande les coordonnées. Elodie voudrait poursuivre la coopération. Dans la rue, photos, nous marchons vers le restaurant. Je suis toujours préoccupé par mon agenda, mange sans conviction. A table, aussi deux prêtres de Pologne (Lublin)

 Au retour, avec Martin, les Cariot, comme des carillons, surgissent, nous accompagnant sur la place St Pierre. La queue 2h30 à 3h, trop long. Nous nous contentons d’une prière, une dizaine de chapelet. Tout à coup, Jagoda avec son mari et deux couples d’amis qui viennent de Cracovie, je crois.  Tu n’étais pas à 15 h. Et vous ? oui, l’évêque a parlé. C’est moi qui leur ai dit cette rencontre le dimanche de Pâques lors du dîner chez eux. Le matin, Martin vient de partir après le petit déjeuner pris tous ensemble  et passé à discuter comme on le fait depuis dimanche matin. Je fais la valise. Il faut évacuer avant 10h. Tout est prêt. Le dernier regard dans l’armoire. Une veste, un veston. Pourquoi, est-ce que tout à coup, je me mets à palper la poche intérieure de la veste ? Je sors mon agenda. Le choc des retrouvailles. Je redeviens tout joyeux alors que j’en ’avais déjà fait le deuil. Un chemin spirituel de détachement. Pas content, contrarié, mon  chemin de vérité. Et me voici en harmonie avec moi-même. La béatification était-elle une parenthèse dans mon agenda ? Certainement pas car il y avait un avant et il y aura un après. Lequel ? je le pressens mais je ne le sais pas.

Karol Wojtyla, après sa mort, gardé dans la mémoire si sensible de tant de personnes et de manières particulières. Éric, un ami journaliste cameraman,  m’a écrit la veille de mon départ : à sa mort j’ai pleuré, à sa béatification je vais pleurer aussi. Par sa béatification, sa mémoire est confiée désormais à l’église de Rome et par elle à l’Église universelle. Ce dont la canonisation sera le signe officiellement posé, signe de reconnaissance pour la vie d’un témoin qui criait fort : « n’ayez pas peur, ouvrez grand les portes au Christ ». Portes de la vie, à la suite de Marie, Mère de Jésus qui était là jusqu’au pied de la Croix. Marie, dont Jean-Paul II, était Totus Tuus. Tellement il croyait que le chemin du Christ est sa Mère comme celui de l’Église est tout homme, chaque homme !