2007/04/08, Pâques - Concert-méditation - HOMMAGE A BERNARD ET A PIERRE

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Église de la Collégiale Saint-Martin (Montmorency).

Musique : messe de Nicolas de Grigny par Yannick Daguerre,
Texte. Rémy Kurowski


 

I. Intro :

 

Bernard était organiste à Groslay.
A l'âge de 8 ans il a perdu la vue.
Le cancer en était la cause.
Cinquante ans plus tard il en est mort.
Depuis plus d'un mois il n'est plus.

 

La cécité l'a fait plonger dans l'obscurité.
Apprendre à voir autrement est devenu indispensable.

L'Abbé Pierre est décédé un mois avant Bernard, en janvier.


Tous les deux vivaient dans une foi profonde qui les animaient et dictaient leurs actes.

Espérer n'était pas pour eux une réalité à remettre à plus tard.

 


II. LA RESSURECTION DES ECLOPES

Quand vous n'avez plus d'yeux pour voir, vous en avez pour pleurer. Mais, Vous avez encore des oreilles pour entendre. Et quand vous n'avez ni yeux ni oreilles, vous n'avez ni parole ni visage.
Vous n'êtes que le lien de passage où comme un cratère béant se loge le souvenir d'une explosion géante qui Vous a mutilé.
Qu'est-ce qu'il vous reste ? Des yeux pour pleurer et un peu d'espace sur votre peau (deux mètres carrés en moyenne) pour porter votre masque. Vous, vous le savez, vous êtes vivant tant que vous portez ce masque, vous êtes vivant tant que vous portez ce masque, vous portez ce masque de la mort, alors que vous êtes vivant. La dense rituelle du masque de mort ne s'arrêtera jamais. Tant que vous êtes vivant !
Ce masque vous protégera des autres qui ne sont pas comme vous, eux qui ne sont qu'à quelques instants de pensée… surtout de la vôtre, parce que la leur est ailleurs.
Ils sont à quelques instants de Votre pensée quand vous êtes mutilés de l'extérieur, eh, oui, ce qui reste pour vous c'est la pensée.

Oui, peut-être, vous pensez… surtout en ces quelques moments quand elle se présente, elle la pensée, dans sa bienveillance généreuse pour attirer ou éloigner - allez savoir! - cette forme d'existence la plus hideuse qu'est la mutilation.
Oui, peut-être qu'elle existe vraiment, la pensée et qu'elle vient même de l'intérieure, mais elle n'est que l'expression d'un oiseau qui déploie ses ailes, alors qu'il n'en a pas et d'un poisson qui nage à sec.
Oui, pensée peut-être, mais bien plus encore et toujours de plus en plus, quand vous êtes mutilés de l'extérieur. Etre mutilé de l'extérieur c'est peut-être aussi, être comme le cratère d'un volcan qui ouvre le chemin de Votre vie tout en y attirant Vous-même et les curieux qui s'y penchent avec religiosité onctueuse, angoissés à l'idée qu'ils pourraient un jour peut-être, bel et bien eux aussi, comme vous, qui jadis étiez tout entier, désormais ne plus l'être.

Eux, les autres, ils sont à quelques instants de chez vous, à la distance d'une pensée bien-veillante. Ils sont là, Vous regardent, vous considèrent, vous dévisagent, vous sidèrent.
Vous n'avez aucune défense. Vous êtes là, livrés à leur seul bon plaisir d'être à vos côtés, ou ne pas être.
Ils sont là, ils vous touchent, ils vous frôlent ; est-ce pour être sûrs de ne rien oublier de vous-même ? Oh, non, pas par charité, encore moins par vanité! Ils sont là et vous frôlent pour être sûrs de ne rien oublier de ce que vous êtes parce que un jour peut-être ils pourraient être comme vous.
Ils vous circonscrivent, ils vous inscrivent, ils vous amarrent à l'autre rive pour éviter toute sorte de maladresse, comme celle d'une bouteille avec son message à la dérive.

Quand vous êtes mutilés du dehors, Vous ne sortez pas de chez vous, car vous êtes vite dehors.
Tous les mutilés du dehors et ceux du dedans aussi, les uns comme les autres, ils ont signé pour la vie sur cette terre et dans leur chaire, ils ont signé pour la vie, ils ont signé un pacte avec la mort. Et elle les aura un jour. Et eux, ils vont tenir jusqu'à la lâchée de blanches colombes.

C'est ça, la Résurrection ?

 


III. BERNARD ET SON CHIEN

Les chiens de St Bernard sont robustes, calmes et efficaces ;
Bernard avait un chien comme un saint.
Bernard avait un labrador
L'un comprenait, l'autre avait pour comprendre ;
L'un venait, l'autre avait pour prendre ;
L'un se penchait, l'autre avait pour rendre.

Bernard avait un chien qui fréquentait l'église assidûment, écoutait de la musique religieusement et dérangeait personne royalement.

Bernard avait un chien, un serviteur, un serviteur du serviteur.
L'on se comprend bien entre serviteurs !
Disait l'un à l'autre.
Et on se le disant, il ne faisait pas de grande littérature : juste quelques mots simples, doux et gentils, qui se comprenaient à mi-mot, à mi doux et à mi-gentil.

Bernard avait un chien.
Saint Bernard priez pour nous !

 


IV. BERNARD ET PIERRE

Je ne sais pas si Bernard a rencontré l'abbé Pierre.
Mais ils ont eu quelque chose en commun.
Tout comme Bernard qui depuis qu'il a perdu la Vue, et il ne l'a plus jamais retrouvé de l'extérieur de son corps ;
L'Abbé Pierre depuis qu'il a perdu la Vie pour le Christ, il n'a plus jamais retrouvé l'intérieur de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
L'un et l'autre sont morts.
Bernard a recouvert à part entière toute sa dignité du membre de Corps du Christ
Et dans la grande cathédrale fût accueilli le corps mort de l'autre.
Les deux pour la résurrection bienheureuse si douloureusement par notre Seigneur Jésus-Christ acquise qui leur fut promise comme elle l'est pour nous, pour toujours et de partout.


Ainsi soit-il ! Ainsi soit le grand silence !