2009/03/12 - Réflexion pastorale - À propos de la fillette brésilienne

Imprimer

Seigneur,

Ce matin, je me retiens pour crier ma colère. Je me retiens par amour pour toi et pour mon prochain, pour mon Eglise à laquelle je suis fier d’appartenir ! Je me retiens et m’exprime par les mots qui ont du mal à être porteurs d’un flot paisible de la pensée.

                                                          ***

La vie de l’Eglise s’exprime par les uns et les autres :

• les uns font ceci ou cela et les autres aussi,
• les uns des bêtises et les autres aussi,
• les uns font sans savoir ce qu’ils font, les autres aussi,
• à l’ignorance des uns s’ajoute l’ignorance des autres.

Qu’est-ce qui est plus facile à dire : « prends ton brancard » ou « vas et ne pèche plus » ? Une rencontre éclaire l’autre. Le paralysé est solidaire de la femme attrapée en flagrant délit d’adultère.

Si l’homme de la femme en question est absent, le paralysé guéri, il porte en lui un peu de la souffrance du Christ qui portait seul le péché du monde. Par substitution, par solidarité, par fraternité... Il l’est à partir du pardon. Accueilli, il l’est pour la situation du péché. Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère alors que la poutre dans le tien, tu ne la vois pas ? Qui est sans péché qu’on lui jette la première pierre !

« Oh, non, maman, tu exagères » s’écrit Jésus voyant sa mère jeter une toute petite pierre, dans cette histoire que l’on raconte à propos de la femme adultère traînée devant celui-ci pour le mettre à l’épreuve. Jésus ne règle pas ses comptes, même pas avec sa mère. Il lui reconnaît sa place d’exception, tout comme à un titre infiniment supérieur, il  la reconnaît, cette même place exceptionnelle pour lui-même. Personne, moi non plus, ne te condamne. Vas et ne pèche  plus.

Les évocations bibliques, et bien d’autres, me placent face à Jésus qui ne s’exprime pas de la même façon face aux groupes de personnes et lorsqu’il est en face-à-face. Il n’a jamais dit lors d’une rencontre individuelle : « tu es le tombeau blanchi, tu as du venin en toi et je dirai aux autres de s’en méfier ». La seule dénonciation du mal dont Jésus est capable face à une personne singulière vise le mauvais, le Satan, la source du mal, mais jamais la victime.

Face à cette attitude de Jésus, l’Eglise, qui garde le dépôt de la Foi reçue des Apôtres, semble dans une mauvaise posture ! Comment, en effet, envisager les prises de positions visant les cas individuels ? Comment porter un regard de compassion et de miséricorde alors que les autres regardent et jugent à leur tour l’attitude de Jésus en la trouvant bien fade et pas assez affirmée dans la condamnation qui accompagne voire doit accompagner le geste de miséricorde ? Il semblerait que plusieurs facteurs soient à l’origine de la difficulté d’y poser un regard éclairé par la foi qui œuvre au salut en Christ.

J’en énumérerai trois :

Le premier porte sur la distinction nécessaire, appuyée sur Jésus des Evangiles, entre l’approche de compassion et de miséricorde lors de la rencontre interpersonnelle où la vie de l’un se communique à la vie de l’autre d’une part, et la dénonciation, mise en garde, adressée aux ensembles d’auditeurs, aux groupes qui, chacun, représente une ou plusieurs caractéristiques particulières considérées comme néfastes pour la vie de foi.

Le second qui découle du premier est celui de la distinction entre trois niveaux : universel, particulier et singulier. Il semblerait que ce qui fait défaut, c’est l’efficacité du particulier, car son identité étant mal assurée, il est tantôt attiré vers l’universel tantôt vers le singulier. Souvent l’absence et certainement la défaillance de ce pôle particulier pourrait, en partie, expliquer le mauvais paysage de l’universel au singulier. Cela paraît être le coeur du problème, l'Eglise actuelle se focalisant sur des cas particuliers et n'étant plus capable d'un retour sur une réflexion générale. Le principe de la défense de la vie qui ne peut que revêtir le caractère universel ne s’applique ni s’exprime dans son fonctionnement, dans sa mise en œuvre, qu’aux situations singulières, mais dans la totalité de celles-ci.  Et, inversement, la somme des situations singulières n’est pas la totalité de l’expression du principe universel car celui-ci échappe, « par principe », à une telle réduction. Or, le particulier est donc cette capacité à accompagner le principe universel dans les situations singulières, mais son rôle est de l’accompagner aussi bien dans la vie que dans la mort, en d’autres termes, aussi bien dans le respect du principe de la vie que lorsque ce principe n’est pas respecté.

C’est au particulier qu’est dévolu le rôle du discernement et d’accompagnement, les deux ensembles, or combien même le discernement sans une certaine forme, se fait au niveau universel (le rappel des règles fait partie du discernement), il ne peut cependant pas assurer la fonction d’accompagnement. Cette fonction d’accompagnement n’est pas mise en valeur dans la transmission d’information que le rappel de règles universelles. Le sentiment largement répandu est celui qui fait dire qu’il n'y ait effectivement plus d'accompagnement mais au contraire une distanciation qui s'accroît davantage à chaque décision individuelle et qui laisse la masse ( universalité) des fidèles totalement déroutés. Ils ne peuvent plus se fier à une Eglise qui, selon eux, retranchée dans une "tour d'ivoire", juge, tranche sans prendre en compte la réalité humaine. C’est tout au moins l’image qu’ils s’en font.

Le troisième facteur de difficulté est lié à la communication. Dans le cas de la fillette brésilienne, la distinction sur le plan canonique entre l’objet d’excommunication (avortement) et le viol, tout comme dans le cas de Mgr Williamson entre ses paroles négationnistes et son épiscopat, tout en étant indispensable dans une prise de position, ne suffit cependant pas, tant qu’elle n’est pas accompagnée d’un discernement dans la foi. Et ce dernier revient en propre à la situation particulière, celle où la rencontre entre le Christ qui relie l’homme et la femme atteint d’un mal et qui entraîne au péché. Le Christ sauveur est dans la rencontre. Grâce à lui, son disciple voit plus clair dans sa vie. L’Eglise aide à y voir plus claire et l’atteste dans la vie comme dans la mort, dans le bonheur, dans les épreuves, dans la bonne santé, comme dans la maladie. Tout ceci pour la plus grande gloire de Dieu qui se rend visible dans l’homme debout, car la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, de maintenant et pour l’éternité.

                                                                                 P. Rémy Kurowski

 

Une conférence-débat se tiendra sur le sujet le 29 mars à la Collégiale, de 17h à 19h.