2011/01/22 - Réflexion pastorale - Accueil des divorcés - La rencontre dans l'Eglise à l’image de la Visitation.

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INTRODUCTION.

 

Dans l’évangile de Luc (1, 39-56) nous trouvons ce récit de la rencontre entre les deux femmes dont la place, pour comprendre le sens de la foi chrétienne et la portée du message qui en découle,  est fondamentale. Marie qui vient de vivre un événement peut banal et dont les effets ne font que commencer à se manifester au-dedans d’elle-même, dans son propre corps, physiquement dans sa chair, divinement inspirée décide d’aller rendre visite à sa cousine. Elisabeth est aussi enceinte, elle qui est dans la vieillesse....  Les deux femmes se retrouvent donc ensemble, les deux se retrouvent parce que chacune  se trouve dans une situation pour le moins inattendue.

 

Comment l’Eglise peut-elle être un lien de rencontre, elle qui est préposée à accueillir et à ‘gérer’ les situations pour le moins inattendues ? Oui, inattendue, car tout ce qui vient de la foi a vocation à être géré par l’Eglise, mais lorsque cette foi est forcée d’aller là où elle n’avait pas prévu d’aller, comment fait-elle ? Qui, en effet, au cour de l’histoire du christianisme où la prise de conscience au sujet du mariage sacramentel s’était affiné, a prévu d’élaborer en même temps « le plan B », au cas où cela ne marcherait pas ? Il y avait tout de même toute une réflexion et des propositions de solutions plus ou moins divergentes suivant qu'il s'agissait de la confession chrétienne, orthodoxe, catholique puis dans les églises issues de la réforme luthérienne ou dans l’anglicanisme, mais ceci n’a jamais suffisamment préparé les chrétiens à affronter la situation si massive de la rupture d'un contrat de mariage. 

 

Je vous propose de réfléchir quelques minutes ensemble sur les effets de la rencontre de la Visitation sur l’attitude que l’on pourrait trouver dans l’Eglise à l’égard des divorcés. Comment ce qui s’était passé entre ces deux femmes est instructif pour l’Eglise d’aujourd’hui. Comment la rencontre de la Visitation est l’image de ce que l’Eglise exprime, pourrait exprimer, voire se doit exprimer à l’égard de ces situations si marquées par la souffrance, et notamment ces sentiments de solitude et de rejet qui en ajoutent à la pénibilité de la situation déchirante en soi.

 

1. L’EGLISE, UN LIEU DE RECONTRE ?

 

De qui, avec qui et pour quoi faire ?

 

D’ordinaire et de manière générale, on constate que l’Eglise est le lieu de la rencontre entre le croyant et Dieu. Je passe pour l’instant  sur la question de la remise en cause d’une telle fonction médiatique assignée à l’Eglise, sans qu’elle soit négligeable, mais elle sera à prendre en compte dans le développement qui suivra.

 

1° Traditionnellement, cette rencontre se faisait entre le bon croyant et le bon Dieu, dans les sacrements et ce jusqu’au viatique, donc dans une vie toute tracée et sans déviance possible. Vous voyez bien à quel point cette image (d’Epinal) est une idéalisation presque outrancière de la vie réelle, idéalisation également  de croyants aussi fidèles et rangés dans les cases d'un accompagnement dispensé par l’Eglise. Sans dévier, a planos, selon la devise bien moyenâgeuse de la famille de Montmorency qui est inscrite sur la voûte de la collégiale et qui dit quelque chose de juste au sujet du désir d’être dans la société selon les principes plus ou moins inspirés par la foi chrétienne.

 

2° En effet la vie rectiligne n’est pas le propre de la vie, car dans toute vie il y a des va et vient qui sont plus ou moins visibles, plus ou moins  exigeants, plus ou moins nuisibles, plus ou moins dérangeants.         

 

3° Le bon croyant  qui serait avec le bon Dieu, c’est celui qui se laisse accompagner dans les sacrés moments de sa vie jusqu’à ce viatique pour survivre au désastre  de la séparation et du divorce. Le bon croyant n’est pas seulement celui qui s’exécute en obéissant au rythme des fêtes et des saisons de la vie chrétienne, d’ailleurs souvent imposé avec une résonance avant tout terrestre, qui n'est sanctionnée socialement que pour des raisons substantiellement chrétiennes (on pourra y revenir dans le débat). Le bon croyant c’est celui qui accueille l’inattendu de Dieu, comme Marie et Elisabeth l’ont fait.   Et la place de l’Eglise là-dedans, me direz-vous ?

 

4° Dans ses rencontres entre ce bon croyant et ce bon Dieu, l’Eglise est comme le passeur, non pas pour « homologuer » la véracité ou encore moins pour octroyer le droit de passage, mais pour faire profiter les autres des acquis d’une telle expérience, d'une manière qui ne soit ni opportuniste, ni intéressée, ni détentrice d'un quelconque pouvoir. Elle est là, plantée comme un arbre au bord d’un ruisseau, qui accueille dans son feuillage ceux qui ont besoin de s’y abriter, de s’y ressourcer, car elle est cet espace de vie qui accueille la vie, partout ou celle-ci se présente. Alors la question est : l’Eglise s’occupe-t-elle de ceux qui sont en souffrance et dans la solitude ? Assurément oui ! Fait-elle cela de façon satisfaisante ? Certainement pas !       

 

5° Que peut donc l’Eglise  lorsque celle-ci est confrontée à une telle situation de pénurie dans la réponse à toutes les attentes, exprimées ou pas ? C’est encore un autre débat auquel on pourra revenir tout à l’heure. Comment la vit-elle en elle-même ?  D’autant plus que dans de nombreux cas, ces sont ses propres membres, déclarés comme tels et confirmés par le sacrement de mariage. Ou plus exactement, ils sont  membres du corps du  Christ qu’est l’Eglise. Toutes ces questions doivent être re-traitées à nouveau dans l’Eglise. Mais pour cela, il faut partir à l’écart de la vie bouillonnante d’émotion et de sensibilité, et se mettre dans les pas de Marie et aussi ceux d’Elisabeth, car l'une vient et l’autre va au devant.

 

***

 

La situation du divorce fait bouger les grandes lignes de la société et interpelle l’Eglise. Avec le divorce les couples ont bougé. Si l’Eglise, elle, ne bouge pas, qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce que l’Eglise lorsqu’elle est confrontée à une telle situation ? Et sa  situation  face à la question des divorcés est tout de même un peu comparable à celle de la République française qui ne sait pas quoi faire avec la résurgence des différents sentiments religieux qui revendiquent leur place dans l’espace public. Mais approfondissons un peu plus la question : La personne vit une rupture en se disant « ça y est, ça m’est arrivé, je suis concerné, moi qui croyais y échapper », comme on le pense face au chaumage, au cancer ou à d’autres maladies graves... Comment l’Eglise peut-elle être au courant de ce qui lui est arrivé ? En allant à la pêche dans un sens et pas dans l’autre.  

 

L’Eglise, à l’image de la rencontre entre Elisabeth et Marie, est une Eglise ouverte, activée par les sollicitations qui lui viennent parfois sous la forme de soubresauts, de convulsions de la part des êtres vivants qui expriment un mal de vivre.

 

Dans la visitation, Marie, précédemment visitée par l’Ange, se déplace  pour rencontrer sa cousine Elisabeth. Sa cousine est la prémisse de l’Eglise, car Dieu a visité son peuple. Mais elle n'est pas la seule, Marie l’est aussi car ‘l’Eternel s’est penché sur son humble servante, lui qui a fait de merveilles, Saint est son nom, son amour s’étend d’âge en âge...’. Les deux sont les prémisses de l’Eglise, toutes les deux et elles le sont surtout par le fait qu’elle partagent ce qu’elles vivent chacune en propre. Elles ne peuvent pas le garder chacune pour elle. Elles sont mues par quelque chose qui les dépasse. Par la vie de Dieu qui est en elles. En effet, grâce à leur rencontre, c’est Dieu lui même que l'on trouve au coeur-même de ce destin humain qui noue la vie de ces deux femmes en raison de ce qu’elles portent en elles. Toutes les deux portent promesse de vie.

 

Quelle promesse de vie porte-t-on lorsque l’on est dans la situation du divorce ? Quelle promesse de vie l’Eglise  porte-t-elle quand elle est dans la situation de la rencontre et espérons-le, dans celle de l’accueil ?

 

Le secret,  l’intime de la rencontre, la prière (le Magnificat de Marie) sont les trésors qu’elles portent en elles : ce qui est humain et en plus ce qui le dépasse. Dans une rencontre, c’est toujours le divin qui dépasse, même s’il se cache dans l’humain. Même si dans l’intimité entre les deux femmes, il n’est plus question d’ange.

 

Quel est donc ce secret, la richesse du secret, sa valeur, ce quelque chose  que je porte en moi, quelle que soit ma situation ?

 

Dans la rencontre, l’Eglise s’engage, essaie d’assumer la situation, comme elle peut, mais toujours pour rencontrer Jésus, comme Marie qui a permis cela à l’enfant d’Elisabeth. Dans la visitation s’est effectuée aussi une très émouvante présentation, au point que ‘l’enfant  tressaille en dedans de moi’  selon les paroles d’Elisabeth, la mère de Jean Baptiste. Dans la visitation s’effectue la naissance de Jésus, car il s’y rend présent.
Et ceci va être poursuivi par ce que Jésus allait faire,  selon ce qui nous est rapporté dans les Evangiles, pour arriver jusqu’à chez nous, dans l’aujourd’hui de notre vie.

 

2. A l’IMAGE DE LA VISITATION ?

 

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur le sujet, affinons maintenant notre regard sur certains points :

 

Dans la vie de couple, on dit que pour durer, il faut accepter les conflits et ne pas avoir peur de s’affronter. C'est vrai pour les couples, mais également dans les relations en Eglise.

 

Or, la Visitation  n’a pas  de fondement dans l’affrontement, pas plus que la vie de couple. Mais, elle nous donne récit d'une relation divinement fondée et humainement parfaitement assumée. Tout va bien, rien à dire sur cela. Cependant, il reste le contour, l'extérieur.  Marie a dû affronter les conditions de voyage, après avoir assumé l’incroyable de sa vie qui s’est effectué lors de l’annonciation  et depuis. Elisabeth, quant à elle, dans  sa vieillesse, a dû affronter  sa condition de femme  âgée, sans trop savoir ce que cela pouvait vraiment signifier. Et les deux ont dû affronter les regards interrogateurs, suspicieux  des autres. Mais les deux femmes sont comme transportées, car portées  par ce qui les habitent : à la fois l’enfant de la promesse et en même temps l’incroyable de la promesse.

 

Comment transposer cela sur la situation de l’accueil des divorcés dans l'Eglise. Qui rend visite à qui ? Et comment ?

 

Si, la plupart du temps, les rencontres réelles entre les divorcés et l’Eglise  ne se font pas, pour des raisons très diverses,  un éloignement  réciproque, les uns se croyant abandonnés, les uns ne se sentant pas concernés, toujours en s’enfonçant dans la solitude et souffrance, pourtant, ces rencontres peuvent être préparées. Comment ? par l’attitude de l’Eglise, mais à la condition expresse que celle-ci soit réellement ressentie  comme accueillante, et pas seulement en se déclarant comme telle.

 

« Ce qui me retient dans l’Eglise catholique, au sens de vouloir y rester, c’est l’eucharistie, car tout y est déjà dit et fait, alors que je suis tellement bien accueillie chez les protestants, car accueillie dans ce que je suis » disait un jour une  femme engagée dans des actions caritatives, engagée avec et au nom de la foi chrétienne et dont l’attachement au Christ ne laisse planer aucun doute quant à sa véracité.

 

Donc, comment faire ?
Déjà par la prière ! La réponse peut avoir quelque chose de déconcertant, comme si cette proposition avait quelque chose de trop facile, pas authentiquement engageant... comme si ainsi l’on voulait se dédouaner de la responsabilité et de l’action qui va avec.
Mais je pense que la question mérite d’être posée. Est-ce que nous prions, et pas seulement dans la Prière Universelle, souvent mal rédigée,  rendue inaudible et par conséquent pas crédible, en passant par dessus les têtes. Mais dans notre prière quotidienne, là où nous sommes, prêtres, religieux, religieuses, laïcs !?  Même si je suis de plus en plus conscient des enjeux, je ne mets pas toujours cette problématique au centre de ma prière quotidienne. Nous sommes en effet  présents, y compris dans la prière, seulement dans ce qui nous a traversés, d’un bout à l’autre. Et quand ceci a aussi traversé la conscience d’un bout à l’autre, cela l’a   certainement, d’une manière ou d’une autre, fécondé en la rendant apte à agir.

 

Aujourd’hui  c’est peut-être   juste une occasion de méditer sur les effets d’une telle prise de conscience.

 

La visitation nous en fournit des clefs.        

 

Rémy Kurowski