2014/03/16 - Homélie - 2e dim. de Carême

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« Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père »


« Quitte ton pays »,
comme Abraham nous avons aussi entendu cette invitation. Certes, la comparaison pourrait s’arrêter là.  Et pourtant, si je m’y appuis, c’est pour poursuivre le parallèle. Pratiquement tous nous sommes des émigrés. Lors que l’on m’a demandé de venir à Hong Kong je me disais dans ma tête : « Moi qui ai quitté mon pays d’origine pour m’intégrer dans un autre pays, avec cette mission je deviens accompagnateur des émigrés, comme je l’avais été moi-même ».


Le parallèle entre Abraham et nous concerne  déjà les trois choses suivantes.  Nous avons quitté notre pays d’origine, notre parenté et notre maison.  Trois lieux de stabilité nécessaire par ailleurs pour vivre. Ce déplacement géographique implique le changement relationnel et culturel. Pour la plupart, nous avons laissé nos familles et ne parlons pas le chinois.


Si nous sommes partis, c’est parce que quelque part nous avons fait confiance. Cette confiance ne nous a cependant  pas permis être entièrement libres de toute sorte d’interrogation. Qui n’a pas eu un moment d’inquiétude à l’idée de faire le déménagement, de changer  de condition de vie.... Et pourtant pour la plus part  une telle émigration était synonyme d’ouverture à une nouvelle vie, pleine de belle promesses. Rien à voir avec toutes les émigrations qui s’effectuent au gré des déplacements forcés...


« Quitte ton pays »
En obéissant Abraham  se soumet à la volonté de Dieu qu’il découvre à la même occasion.    La Bible en fait le père des croyants.  Pour être croyant, nous avons besoin d’entendre la voix de Dieu. La période de Carême normalement nous aide à l’entendre à travers le temps des approfondissements  de notre foi et de renoncements qui en résultent, tout aussi indispensables que bénéfiques. Abraham est le modèle  de cette obéissance dans la foi. Alors que Marie, mère de Jésus,  en est la réalisation la plus parfaite. En se soumettant, Abraham devient témoin de la foi.


« Quitte ton pays »  
La foi provoque des déplacements, plus rien n’est comme avant.  Dans la traduction littérale de cette expression l’on peut comprendre cette injonction « pars de ton pays » comme une invitation à entrer en soi et à advenir soi-même. Evidemment au côté de Dieu qui accompagne. Obéir dans la foi c’est acquérir une autonomie humaine sans pour autant se couper de Dieu. Comme c’est difficile d’envisager les deux, à la fois. L’on conçoit bien volontiers l’un ou l’autre. Cette invitation que Dieu fait à chacun de nous nous concerne sur deux plans : intérieur d’abord, obéir dans la foi c’est désirer et tout faire  pour laisser la place centrale à Dieu lui-même. 


C’est aussi ou plutôt  par conséquent changer quelque chose autour de nous. C’est d’être missionnaire d’une manière ou d’une autre. Pour certains cela signifie  aller  dans un autre pays pour dire la foi  avec leur coeur, leurs pieds et leurs mains. Sans en perdre la tête, c’est à dire de savoir qu’est-ce que l’on veut et comment. 


En faisant ainsi, comme Abraham, nous accomplissons non seulement la volonté de Dieu de nous laisser transformer de l’intérieur et le faire dire. Comme lui, nous entendons  aussi le message « en toi seront bénies toutes les nations ». Comme Abraham est parti pour rassembler l’humanité dispersée, nous aussi nous avons à porter un tel message.


C’est bien paradoxal que de constater que nous avons besoin de nous disperser aux quatre coins du monde pour être héros du rassemblement de toute humanité en Dieu. Mais le paradoxe n’est qu’apparent, il concerne seulement la partie visible, le fait d’éclatement.  Il est ‘contredit’ par  la partie intérieure, invisible, spirituelle. 


Pour faire  ce mouvement vers les autres nous sommes invités à être en communion. En communion les uns avec les autres et avec l’humanité entière, tous en Christ.  Communion qui va jusqu’à rejoindre les pans entiers de notre nature sensible : « Fils bien aimé, avec la force de Dieu, prends ta part  de souffrance pour l’annonce de l’Evangile » (2Tym1,8) 


Et Jésus dans l’évangile est encore plus explicite : Il interdit aux disciples   de parler de la Transfiguration, tant que le passage par la vie dans tous ses aspects ne lui soit donné de le faire.


Comme disait un évêque   aux prêtres qui venaient le voir sur son lit de mort, souffrant d’un cancer : Si vous ne connaissez pas la souffrance, ne dites rien ».  L’interdit de Jésus nous concerne aussi, nous ne pouvons parler de la grandeur de Dieu qui se manifeste dans nos vies que si notre vie entière en est illuminée. Le temps de carême est une bonne période pour voir où en nous brille une telle lumière et quels sont les espaces de notre être qui  lui sont interdits.

***

Sans crainte nous pouvons faire un tel travail, car Dieu nous a déjà sauvés. Il nous a même donné une vocation sainte, non pas à causes de nos propres actes, mais à cause de son projet. Projet qui est celui de bénir toutes les nations de la terre, et cela passe aussi par nous.