2017/12/03 - Homélie - 1er dim. de l'Avent

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NE NOUS LAISSE PAS ENTRER EN TENTATION


1° Ce n’est sûrement pas par hasard que c’est à partir d’aujourd’hui, premier dimanche de l’Avent, que la nouvelle traduction du Notre-Père entre en vigueur. En fait, il s’agit juste d’une expression que constitue la sixième demande. La formulation  actuelle en français, nous la connaissons par cœur : « ne nous soumets pas à la tentation » Lc11,4 (« Lead us not into temptation », « ne nos inducas in tentationem »). Elle change donc.

Pourquoi une nouvelle formule que nous allons désormais utiliser, dès aujourd’hui ? C’est une longue histoire, celle de deux mille ans du christianisme. C’est une histoire de traduction. Une histoire constituée des tentatives de compréhension de l’expression grecque dont nous avons héritée en français, comme dans d’autres langues. 

Et déjà l’expression grecque est une traduction (maladroite, au dire de spécialistes !) de la formule araméenne. C’est en araméen que Jésus a donné aux disciples cette prière : lorsque vous priez, dites…. Et le malaise vient de la traduction de l’araméen en grec. Et par conséquent du grec en latin, français etc. 

Accrochez-vous : 

Comme l'hébreu, l'araméen possède une conjugaison particulière, le mode causatif. Mais, ce causatif exprime à la fois la cause et l'effet, ce qui est bien distinct en français, par exemple. Donc "entrer", peut aussi signifier "faire entrer". La négation placée devant le causatif peut s'appliquer à l’un ou à l’autre. Elle peut s’appliquer, soit à la cause, soit à l'effet. C’est selon le contexte ou le jugement du lecteur. On aura ainsi "ne pas faire entrer" ou "faire ne pas entrer". (Dans la formule de Notre Père, est-ce que les deux  sont possibles en même temps???, je n'ai nulle part trouvé trace de cela)

Donc, le sens réel du texte hébreu perdu du Pater aura été : "fais que nous n'entrions pas en tentation". Le traducteur grec, ne pouvant rendre sans s'écarter du mot à mot une nuance que lui-même, sémite, sentait en grec, s'en est finalement tenu à un décalque servile. 

καὶ

μὴ εἰσενέγκῃς
ἡμᾶς
εἰς πειρασμόν,
et
ne nous fais pas entrer (texte grec)
ou fais que nous n'entrions pas
(texte araméen)
en tentation

Donc en grec la négation s’applique à la cause qu’est Dieu. C’est lui l’acteur et le sujet de la phrase. L’expression « Ne nous fais pas entrer », nous est connue sous la formule de vigueur jusqu’à présent « ne nous soumets pas à la tentation ». Nous y sommes seulement passifs, sans aucune possibilité d’action de notre part. Et du coup, si nous y entrions, c’est Dieu qui aurait voulu. Logiquement donc si tel est le cas, c’est la faute de Dieu. C’est un malheureux glissement de sens. Donc, c’est sa faute, puisque c’est lui qui agit sur nous, sans que nous ayons mot à dire, sauf cette prière. D’où d’une certaine façon cette expression de Jacques Prévert : « Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y et nous, restons sur la terre qui est quelques fois si jolie ». 

Or en araméen la négation porte sur le causatif ‘faire’, et non plus sur le causatif ‘faire faire’. Ce qui donne : « fais que nous n’entrions pas en tentation ». Dans ce cas, nous sommes le sujet de la phrase subordonnée. Nous  y sommes des acteurs principaux. Nous sommes ceux qui font appel à un Auxiliaire. Dieu, sujet principal de la phrase, il garde toujours la main sur tout et donc sur nous. Mais dans la partie subordonnée de la phrase, Dieu devient est un Auxiliaire de notre liberté. Auxiliaire veut dire quelqu’un qui aide. « Dieu viens à mon aide, Seigneur à notre secours », c’est ainsi que commencent les prières du bréviaire. 

C’est donc pour une raison de traduction que l’on a trainé ce problème pendant si longtemps, sans savoir comment avancer. Les protestants, comme souvent, très versés dans l’étude des Ecritures, les premiers ont tiré le signal d’alarme. Le travail œcuménique entre les chrétiens de différentes confessions aboutit à cette prise de conscience. Et la nouvelle formulation en résulte. Elle résulte de l’affinement d’étude linguistique de la Bible. Elle résulte aussi de l’affinement de la place de la liberté de l’homme face à Dieu souverain en tout. 


2° La première lecture et l’évangile nous invitent à être vigilants dans les situations d’épreuve qui sont souvent situations de tentations. « Pourquoi Seigneur, nous laisses-tu errer, hors de tes chemins, nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ». Bonne question formulée par le prophète Isaïe. 

Maintenant, nous avons déjà une bonne partie de la réponse. Dieu nous laisse le temps de nous convertir. Mais cela prend justement du temps, le temps de notre décision. Jésus fait pareil : « Prenez garde, restez éveillés ». (On a fait l’anniversaire de nos enfants ou chez leurs copains et donc on n’est pas allé à la messe ; on a fait un super voyage à Noël, Pâques, on a même pensé d’aller aux offices, mais c’était trop compliqué : attention danger !) Ces tentations de vie facile, endormie, selon nos goûts…, elles doivent être stoppées. Et si elles ne le sont pas, elles conduisent à la mort spirituelle et parfois même physique. 

Qui est à l’origine des tentations ? Pas Dieu. Certes, il y a le Malin. Mais, pour la plus part du temps, c’est notre chair. C’est notre chair vouée à la mort (donc au sens paulinien du terme) qui génère des tentations. C’est notre chair qui nous met dans des situations éprouvantes. C’est vrai pour chacun de nous individuellement. C’est vrai aussi en couple, en famille. C’est vrai dans la communauté  humaine, en société, dans le travail, vie associative, clubs divers et variés… C’est vrai aussi en communauté spirituelle comme la nôtre. Tant de tentations qui viennent de Babel et qui contredisent le souffle de l’Esprit de la Pentecôte.

Comme dit st Jacques dans son épitre, « nous sommes éprouvés à cause de notre propre convoitise ». (1,13-15). Cependant, Saint Paul apporte une nuance intéressante. Il précise que Dieu ne nous permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces (1Co10,13) (L’interprétation de la Bible n’a rien de fondamentaliste, uniquement littéral, elle résulte d’un long chemin au cours duquel on apprend comment débusquer le sens de l’ensemble de la Bible et non pas uniquement à partir  d’un seul mot ou d’une seule expression.)

Donc, comment, avec quelle force agir ? Force de la grâce divine, certes. Mais pour être active, cette force-là doit se traduire en conviction intérieure. Alors, désirons-nous que Dieu nous garde de toutes les tentations ? Et surtout de celles qui nous éprouvent le plus ? Celles  qui nous titillent et nous remettent en cause ? Jusqu’à troubler notre conscience et impacter notre statut d’enfant de Dieu ? !


3° Ne nous laisse pas entrer en tentation, répétons cette phrase dans nos têtes, 
Ne nous laisse pas entrer en tentation, répétons-la pour l’apprendre par cœur
Ne nous laisse pas entrer en tentation, répétons avec conviction intérieure
Ne nous laisse pas entrer en tentation, répétons avec une conviction spirituelle
Ne nous laisse pas entrer en tentation, répétons pour avoir la force de résister
Ne nous laisse pas entrer en tentation, et finalement délivre nous du mal. AMEN


PS. D’autres sujets attenants resteraient à développer :
- celui de la Providence et de la suprématie du Bien sur le mal,
- celui de la vision rencontrée aussi dans l’Ancien Testament selon laquelle c’est Dieu qui éprouve (par ex. psaume 66),
- celui de l’homme qui éprouve Dieu (par ex. Psaume 95 à Massah (lieu-dit d’épreuve) et Meriba (lieu-dit de contestation de querelle) « où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avez vu mon exploit »
– celui des tentations du Tentateur à l’égard de Jésus et tout disciple…