1998/12 - Article - De l’intelligence en l’Eglise, rapport difficile à l’institution
Mme X est catéchiste dans une paroisse Y. Le curé lui demande d'arrêter la responsabilité d'un groupe d'enfants. Les explications sont brèves, substantielles, aux yeux du curé. Mme X ne comprend pas les raisons de la décision. Quelques mois plus tard elle ose demander ces raisons. 'Parce que vous êtes perfectionniste'. Elle ne comprend rien du tout. C'est précisément en vertu de la perfection recherchée qu'elle s'était engagée à être catéchiste.
La perfection est une manière parmi tant d'autre de nier la complexité de la réalité dans laquelle les humains sont plongés. Etre perfectionniste, c'est de refuser la part de mystère comme constitutive de tous les enjeux relationnels envisagés. Etre perfectionniste, c'est n'avoir qu'un seul modèle de comportement à proposer, celui du perfectionniste. La négation de la dimension du mystère entraîne la négation de tout autre modèle de comportement à proposer que le sien, celui du perfectionniste. Cela se vérifie particulièrement dans le cas de témoignage, où la négation en question s'exprime à travers l'attitude de vouloir montrer comment Dieu agit dans la vie de tous à partir d'un témoignage singulier.
Les conséquences de la décision du curé qui retire à la catéchiste le mandat à cause de l'attitude perfectionniste de celle-ci, alors qu'elle s'y était engagée précisément au nom de cette attitude perfectionniste, peuvent être multiples. Elles peuvent par ailleurs éclairer les raisons de celui-ci.
L'impossibilité d'entrer en dialogue n'est aucunement signe d'une mauvaise volonté de part et d'autre. Si, malgré les tentatives, le dialogue ne permet pas d'avancer dans la compréhension du problème, cette impossibilité est probablement signe de l'incapacité foncière, structurelle d'entrer dans la relation avec la réalité globale de ce que recouvre la réalité d'Eglise dans sa dimension ecclésiale.
Il y va de la relation à l'Eglise dans sa dimension qui est la plus tangible pour les humains que nous sommes, à savoir l'institution et dont le caractère régulateur est manifeste dans ce genre de décisions. Institution devient la cause même de souffrance et donc " antisigne " évident de ce qu'est sa mission: signe du salut et donc de guérison, de la diminution de la souffrance et non pas d'un surcroît. Or, l'institution, dans son fonctionnement, régule les comportements humains de telle sorte qu'elle s'oppose à ce qui vient chez chaque individu s'imposer de par la nature humaine. Toute institution a donc pour but deux choses, régir le temps et l'espace. Elle a pour but de limiter la présence de l'individu dans l'espace: Par exemple, en France on conduit à droite, sur les trottoirs qui donnent sur la porte de sortie d'écoles on fixe des barrières de protection pour empêcher les enfants de sortir en courant et se trouver ainsi sur la voie de circulation. Mais elle a également pour but d'inscrire dans le temps une telle présence ainsi limitée. Il y s'agit de la fidélisation au respect des règles, de préférence par réflexe acquis. Tout cela est conçu pour favoriser le savoir 'vivre ensemble'. Elle le fait au nom de l'objectif du respect de la liberté individuelle. Pour la favoriser elle semble la limiter, en délimitant l'espace et en en imposant la durée.
Le comportement de l'individu est tout autre, à l'opposée de la manière dont l'institution régule les relations. L'individu tend à être partout, occuper le plus de terrain possible, mais juste à un moment donné. Le désir de s'établir dans un lieu fixe n'échappe pas à cette règle. Le conflit entre l'individu et l'institution est donc évident. Il s'accentue d'avantage dans le cas de l'institution Eglise. Pourquoi cela? Probablement parce que l'institution Eglise prétend concerner toutes les dimensions humaines individuelles et collectives. Aussi parce qu'elle prétend d'être de nature divino-humaine, dont la composante divine parachève le caractère englobant de son champ d'action. En somme rien n'y échappe. L'insupportable d'une telle situation peut se traduire par des malaises multiples. L'un parmi d'autres cas de figure de ce malaise est le refus d'une telle institution. La refuser c'est nier la pertinence de son existence. Si institution dans l'Eglise veut dire instituer pour durer, l'impasse est totale et définitive.
Le manque d'intelligence au sens de l'adequatio entre res et intellectum, consiste en l'occurrence à nier l'utilité de l'Eglise comme institution.
La catéchiste de notre exemple est perfectionniste dans la vie. Sa manière d'être en Eglise est mise à de rudes épreuves. Combien plus nombreux sont ceux et celles qui ont une vision perfectionniste de ce que doit être selon eux l'Eglise. Mais entre leur manière idéaliste de voir l'Eglise et sa non conformité réelle à la mission il y a un grand espace dans lequel se perdent nombreux humains désorientés et déçus. Le manque d'intelligence n'est pas forcement uniquement là où l'on croit le constater. Il est aussi dans cette incapacité déconcertante de l'Institution Eglise à nier les dégâts provoqués par son inadéquation à toutes les dimensions du réel dans lequel un immense non man's land est peuplé par des apatrides de la patrie céleste et qui errent dans un limbe terrestre.