2008/06/22 - Conférence-débat - La foi des chrétiens au Moyen-Orient

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Le Père Rémy Kurowski nous précise que cette conférence fait partie du cycle de conférences-débats de la Collégiale qui permet d’apporter un éclairage en fonction de l’évangile sur les événements qui ont eu un retentissement dans les médias. Aujourd’hui le thème « La Foi des chrétiens d’Orient » est abordé suite à la lettre de Jean d’Ormesson qui sera lue en début de conférence. Le Père Sabri Anar, parlera de son expérience en tant que prêtre de l’Eglise catholique de rite chaldéenne de Sarcelles, Fabrice Moracchini, professeur de géopolitique des religions reviendra sur l’aspect historique.

Philippe Casassus nous fait un bref rappel de la situation actuelle :

 Il y a à peu près 650 000 chrétiens en Irak. Rien qu’en 2004, 60 000 chrétiens ont émigré, face à une situation dramatique. En majorité, ils sont sur place depuis les apôtres, Saint Thomas a prêché dans cette région. La communauté chaldéenne est la plus importante. Environ 200000 chaldéens Irakiens ont migré en France. Il y a une douzaine de communautés en Irak apparues au fil des siècles. Ils constituent 2 % de la population d’Irak. La plupart de ces chrétiens sont des autochtones. Actuellement, ils vivent une situation très difficile et on assiste à beaucoup de départs.

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Fabrice Moracchini nous présente comment se sont structurées ces Eglises qu’on appelle orientales mais qui sont en fait pour l’essentiel arabes du Moyen et Proche Orient et de l’ensemble de la sphère arabo-ottomane qui a dominé une partie du bassin méditerranéen.

L’histoire de ces communautés chrétiennes du Levant et du monde arabe est souvent mal connue par le reste de la chrétienté. Ces premières communautés chrétiennes se sont implantées dans le monde arabe et constituent à la fois une trace vivante des premiers siècles de l’Eglise mais aussi le témoignage des premiers affrontements et des premiers schismes qu’a connus l’église chrétienne.

Après la crucifixion et la prédication, les apôtres constituent la première Eglise, d’abord cantonnée au monde juif, mais qui s’étend très vite  au monde romain.  On assiste aux premiers affrontements  entre l’Eglise de Jérusalem de Jacques, la communauté de Pierre, celle de Jean et ensuite celle de Paul qui très vite est parti évangéliser la gentilité. C’est une  période d’internationalisation du christianisme et donc, progressivement, de sa déjudaïsation.

Au 4ème siècle, le christianisme devient la religion d’un certain nombre d’élites de l’empire romain puis celle de l’empereur Constantin qui s’est converti peu de temps avant sa mort.

Les Eglises orientales sont nées de la période de l’essor du Christianisme du 3ème, 4ème siècle. Elles sont nées de toutes les difficultés religieuses d’inculturation dans un milieu juif et palestinien avec la civilisation héritière de l’empire romain qui allait s’exporter à l’est vers Byzance.
 La prédication du Christ a posé un problème lorsque Paul a revendiqué l’incarnation de Dieu dans la chair humaine. Le concile de Nicée (325), réuni par l’empereur Constantin affirme la double nature divine et humaine du Christ dans le. Le Christ étant le verbe de Dieu. L’idée que le Christ ne puisse plus être un simple prophète mais qu’il soit l’incarnation de Dieu dans la chair humaine a posé problème aux juifs mais ensuite dans la plupart des autres communautés notamment aux grecs pour qui l’incarnation de l’entité divine dans la chair humaine était quelque chose d’invraisemblable  « folie pour les grecs et scandale pour les juifs ».  Les Eglises schismatiques nées des trois grandes hérésies qui ont lieu au 3ème et au 4ème siècle, vont s’implanter dans le milieu araméen et juif qui va devenir arabe puis arabo-ottoman

 La première a été la plus décisive. Arius a fondé une Eglise qui est restée très longtemps concurrente de l’Eglise de Rome. L’Eglise arienne qui a eu beaucoup de partisans. Arius restait plus proche à la fois de la religion juive mais aussi du rationalisme grec. Pour Arius, il était exclu que Jésus étant née de Marie, puisse prétendre au titre de fils de Dieu, personnalité engendrée de la chair divine. Cette première hérésie consiste à considérer le Christ comme créé par Dieu et non par engendré par Dieu. Ce qui revient à remettre en cause la croyance que Jésus était fils de Dieu. La prédication d’Arius qui intervenait au moment où le christianisme commençait à gagner de plus en plus d’adeptes au sein de l’empire byzantin. Sa doctrine était beaucoup plus proche de la conception platonicienne grecque. C’est à la suite de cela que l’empereur Constantin a réuni le premier grand concile de Nicée qui a arrêté le Credo actuel et qui a fixé le dogme contre les théories d’Arius.

Au 4ème siècle sont venu les deux grandes hérésies, celle de Nestorius qui est à la base de l’Eglise assyro chaldéenne qui est présente en Inde et en Iran. Elle ne faisait que tirer les conséquences des doctrines d’Arius condamné à Nicée puisqu’il expliquait que le Christ, s’il était fils de Dieu, ne pouvait pas être né de la Vierge. Il déniait à la vierge le terme de mère de Dieu que lui avait donné l’Eglise. Il la considérait uniquement comme mère de Jésus et remettait en cause le terme de Nicée puisqu’il expliquait que non seulement le Christ avait deux natures, divine et humaine mais était également deux personnes, personne humaine et une personne divine, sorte de façon de s’accommoder aux visions grecques qui accordaient plus d’importance à la raison et au rôle que la personne humaine était amenée à fonder en liaison avec ce concept.
 Il y a eut un deuxième concile à Ephèse qui a condamné la doctrine de Nestorius et c’est cette deuxième Eglise qui a survécu puisqu’elle est allée en Inde et plus tard jusqu’en Mongolie. L’Eglise nestorienne à connu au 16ème siècle un schisme entre le patriarcat directement issu de Nestorius et une partie qui rejoint l’ensemble des Eglises Uniates qui a accepté de rejoindre l’Eglise catholique. C’est donc cette deuxième église devenue catholique assyro chaldéenne qui représente la communauté chrétienne la plus importante en Irak.
Au 4ème siècle, il y a eu la grande hérésie, que l’on appelle Monophysite qui a pris le parti inverse des nestorien, prétendant que le Christ n’avait qu’une nature divine ou humano-divine. Il remettait en cause la double nature, humaine et divine. Ce troisième schisme a eu l’imprégnation la plus importante dans l’ensemble de ce qui est devenu ensuite trois siècles plus tard le monde arabe, puisque à partir de cette Eglise monophysite, s’est créée la communauté chrétienne la plus importante du monde arabe, qui est la communauté copte qui est de rite monophysite. Cette Eglise a essaimé depuis l’Egypte jusqu’en Arménie et jusqu’en Asie centrale et c’est resté la présence la plus importante de l’Eglise chrétienne dans le monde arabe avec l’église catholique. Après cette troisième hérésie, a eu lieu le concile de Chalcédoine 451), l’ensemble de ces hérésies ont été condamnées. L’évêque de Rome, le pape, et l’évêque de Constantinople y ont assisté. On désigne l’Eglise catholique chrétienne comme l’Eglise chalcédonienne, puisque aussi bien l’Eglise de Rome que l’Eglise grecque byzantine ont adopté l’ensemble du canon des dogmes qui ont été promulgués lors du concile de Chalcédoine  et une partie des Eglises monophysites ont rejoint l’Eglise catholique.

Ensuite en 1054, il y a eu le grand schisme entre Rome et Byzance, même si en fait, le schisme définitif n’a été entériné qu’en 1453 après la prise de Constantinople par les Turcs  A partir de ce moment, il existe deux grandes églises apostoliques chalcédoniennes, Rome et Byzance qui restent aujourd’hui les deux églises les plus importantes et ces deux églises schismatiques, l’Eglise Nestorienne et assyro chaldéenne et l’église monophysite toujours répartie entre coptes, syriaques et arméniens.

Ensuite, l’apparition de la prédication de Mahomet et de l’Islam à partir du 7ème siècle, a brisé l’unité méditerranéenne. Les Eglises soumises à la souveraineté islamique trouvent une façon de s’organiser à partir du monde islamique. Au 16ème siècle, au moment de la Réforme et des guerres de religions. François 1er propose une alliance à l’empire ottoman. L’alliance entre le roi très chrétien de France et le Calife va permettre des capitulations, c’est à dire la possibilité pour les chrétiens de l’empire ottoman  de s’organiser en  communautés.

Entre le 16ème et le 19èem, les églises chrétiennes ont pu vivre assez bien au sein de l’empire ottoman. Au 19ème siècle, l’empire ottoman est  progressivement entré en décadence, cerné à la fois  par la Russie et les puissances occidentales. C’est à partir de ce moment, que les chrétiens  sont apparus progressivement comme agissant pour le compte des puissances occidentales. Napoléon III dans les années 1860 a pris comme prétexte la grande révolte des chrétiens maronites du Liban contre les souverains druzes pour intervenir au Liban donc directement sur terre ottomane. A partir de ce moment, les relations ont été de plus en plus tendues, et ont culminé après la révolution des jeunes turcs qui a renversé le dernier souverain ottoman puis le grand génocide des arméniens de 1915 qui s’est étendu à des communautés syriaques et arméniennes qui ont  émigré au Liban.

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Le Père Rémy Kurowski demande au Père Sabri Anar de nous présenter la communauté chaldéenne de Sarcelles. Ce dernier nous précise que sur la carte du monde, il n’y a pas de pays spécifique.
Pour retrouver le peuple chaldéen, il  faut remonter à l’époque sumérienne, babylonienne acadienne, l’Assyrie et la Mésopotamie. Depuis 575 avant Jésus Christ, il n’existe plus de pays chaldéens. Les chaldéens ont vécu sous différentes nominations depuis. Géographique, si l’on regarde aujourd’hui, ce qui correspond à la Mésopotamie, l’Irak, l’Arabie Saoudite, la Syrie, le Liban, une partie de l’Iran et de la Turquie. Les chaldéens font partie des premiers  chrétiens qui ont accepté la Bonne Nouvelle. Jésus habitait dans cette région. Le jour de la Pentecôte, des habitants de la Mésopotamie sont présents. L’évangile de Saint Matthieu a été écrit en chaldéens. Jésus et Marie parlaient en araméen. Dans la Bible, on retrouve d’ailleurs des paroles du Christ en araméen.
L’Eglise chaldéenne est l’une  des premières Eglises fondées en Mésopotamie. On trouve des vestiges d’églises à la fin du premier  siècle à Bagdad. On l’appelle l’Eglise d’Orient. Son patron est Saint Thomas apôtre, l’un des douze qui est parti en Mésopotamie annoncer la Bonne Nouvelle. La liturgie est toujours restée fidèle loin de toute influence grecque et romaine. Au 4ème siècle des schismes ont commencé jusqu’à la condamnation de Nestorius, le patriarche de Constantinople. Il s’agissait plus d’un schisme politique que théologique. Cette Eglise a continué sa mission jusqu’à la Chine, le Tibet, l’Inde. Jusqu’au 14ème siècle, on compte 60 à 80 millions  de croyants dans cette Eglise. Il y a eu un patriarche chinois. C’est une Eglise internationale mais avec l’arrivée de l’Islam et la domination des Mongols en Mésopotamie a changé beaucoup de choses. Le changement de dynastie en 1363 a été fatal pour cette Eglise et pour les Eglises en général dans cet empire (massacres massifs commis par Tamerlan).

Aujourd’hui cette Eglise ne compte plus que 4 millions de fidèles dont 3 millions en Inde. On l’appelle Syro Malabar, parce que Saint Thomas est aussi parti avec un groupe de missionnaires vers l’Inde et a fondé l’Eglise Malabar, liée au patriarcat de Babylone des premiers siècles, puis liée à Rome, avec un archevêque majeur.

Cette Eglise est une Eglise catholique depuis 1552, elle a été reliée à Rome. Elle n’avait jamais été vraiment  séparée. Mais à cette date, le patriarche Yuhannan Sulaka (Simon VIII)  a déclaré la foi catholique. Elle porte toujours le nom d’Eglise orientale. Elle dépend du patriarche de Babylone des chaldéens. Dans l’histoire, cette église a été appelée l’Eglise des Perses, de l’orient, des orients, parfois assyrienne, ou Eglise chaldéenne ou l’Eglise des Martyrs, c’est l’Eglise qui a donné le plus de martyrs de toutes les Eglises de l’humanité.

Aujourd’hui, la situation est difficile. Cette Eglise a connu de nombreux massacres de chrétiens  arméniens. -en 1916, 1 250 000 arméniens ont été perdus dans ce génocide au sud est de la Turquie- et plus récemment la guerre Iran, Irak. Les 10 ans d’embargo a fait beaucoup souffrir le peuple irakien. L’intervention des alliés pour renverser le pouvoir de Saddam Hussein ; toutes ces catastrophes sont témoins du calvaire qu’a subi cette église et qui justifient la diminution des fidèles, c’est pourquoi, on parle de l’Eglise des Martyrs.

Cette église subsiste en grande majorité en Irak. Sous mandat britannique en 1921, l’Irak devient indépendant, avec un régime royal jusqu’à 1958 puis le régime du Baas en 1968, Sadam Hussein a pris le pouvoir en 1979. Puis ce fut la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, l’embargo de 1991 à 2003, intervention des américains en 2003 et jusqu’à aujourd’hui. Ce fut un Chaos continu. La population en Irak est de 26 millions d’habitants. Avant l’intervention des américains, on comptait 3 à 4 % des chrétiens dans ce pays. Aujourd’hui ce pourcentage a diminué de moitié, on compte donc 75% arabes, 20 %  de kurdes, 2 à 3 % de chrétiens, 2 %  d’arméniens.
La moitié des chrétiens chaldéens vivent en diaspora, aux Etats Unis, en Australie, au Canada, aux Europe, en Nouvelle Zélande, en Afrique du nord .  Aux Etats Unis, nous avons deux évêques qui représentent à peu prés 250 000 personnes. Autour 30 000 au Canada, 30 000 en Australie,  5 000 en Nouvelle Zélande, en Europe, 90 à 100 000.
 Sur les pays voisins de l’Irak, 30 000 à 40 000 en Syrie, autant en Jordanie, 10 000 au Liban et 5 à 10 000 en Turquie, le reste éparpillé dans les pays voisins.

Le Père Sabri Anar était dans le nord de l’Irak avec la délégation de Pax Christi, au mois de février. Ils ont été obligés de rester dans le Kurdistan, dans le nord de Mossoul. Ils ont  pu constater les situations catastrophiques qu’il y a aujourd’hui en Irak. 800 000  à 1 000 000 personnes ont fui le sud, Bassora, Bagdad et Mossoul. Ces personnes n’ont pas de travail, elles ont construit des maisons sans infrastructure. Parfois pour trouver un médecin, il faut une heure de route. La situation à Bagdad a beaucoup changé, les chrétiens n’ont plus leur place et sont chassés. Ils reçoivent des menaces de mort. Beaucoup de musulmans ont également migré. Mais les chrétiens ont une situation très fragilisée. Une trentaine de prêtres ont été enlevés jusqu’à maintenant, certains ont été tués. L’archevêque de Mossoul a été retrouvé mort après un enlèvement. Beaucoup de chrétiens veulent rester sur place même s’ils doivent mourir.

Le Père Rémy Kurowski souligne que l’intervention du Père Sabri Anar montre bien l’ancienneté de la présence des chrétiens en Irak L’identité chaldéenne perdure, appuyée sur la religion chrétienne, elle n’a plus d’identité nationale depuis bien longtemps.
Dans un numéro de la Croix, du mois de mai on relate la présence des chrétiens dans cette partie du monde. En Turquie, au début du 20ème siècle, il y a avait 20 % de chrétiens. Le seul pays qui compte 100 % chrétiens dans cette partie du monde est l’Arménie.
Le voyage organisé en mars dernier  par Pax Christi en Irak  nous a permis de prendre conscience qu’il y avait quelque chose d’important  à faire. Cette conférence a pour but dans cet échange de prendre conscience de la situation et de réfléchir à ce que l’on peut faire.

 Le Père Sabri Anar précise que voilà deux trois ans, qu’il y a eu des appels au secours qui ont été très peu entendus. Concernant le voyage de ce groupe de Pax Christi, tous les médias de France s’étaient mis d’accord pour aider ce projet. C’est un appel qui a bien résonné en France avec le soutien de tous les évêques.


Suite au débat avec l’assistance, le Père Rémy Kurowski a remercié les intervenants qui ont permis de visionner de façon plus concrète la situation actuelle. L’unité des chrétiens est plus que jamais de mise, bien qu’unité, ne veuille pas dire uniformité. Il faut respecter les différents rituels et la mémoire profonde de chacun. La question est de savoir comment nous pouvons être un lien de mémoire vive avec les chrétiens de là-bas ?