2010/02/21 - Conférence-débat - LA SUISSE, LES MINARETS ET NOUS
Le Père Rémy ouvre la conférence-débat, en rappelant son but premier : répondre à une question de société en lien avec la communauté catholique, à la lumière de l’Evangile.
Ph.Casassus
Le 30 Novembre 2009, une votation suisse interdisait de nouvelles constructions de minarets en Suisse, notamment à Langenthal, où une construction était en projet.
On compte en Suisse 350.000 musulmans, principalement en provenance du Maghreb, du Kossovo et de Turquie.
La campagne menée par la droite (UDC et UDF) a été très percutante, alors que la classe politique suisse n’avait pas envisagé un tel résultat.
Les réactions ont été nombreuses, et parmi elles, celles de David Boubaker et du Crif, exprimant leurs regrets.
Cette votation interroge sur la façon dont l’Islam est ressenti. Avant tout, il y a une confusion entre l’Islam et ses formes inquiétantes de comportement. Un minaret n’a en effet aucune connotation politique ou conquérante.
Qu’est ce qui a occasionné ce refus en Suisse ? Etait-ce l’objet architectural en lui-même ? sa hauteur ?
La véritable fonction d’un minaret est de permettre l’appel à la prière : cet appel n’est plus vraiment nécessaire de nos jours ; il était en fait le pendant de nos clochers et de nos cloches. L’origine du mot ‘’minaret’’ manara, signifie lumière, phare et peut être compris comme la lumière de la parole d’Allah..
Les musulmans eux-mêmes considèrent que le minaret n’est pas nécessaire à la pratique du culte.
Est-il un symbole agressif ? Certaines affiches, lors de la campagne en Suisse, le représentaient comme un missile transperçant le drapeau suisse ; d’autres y ont vu un symbole phallique, symbole de domination et de soumission des femmes.
Les défenseurs, pour leur part, voient dans le minaret, le chemin, la première lettre de l’alphabet évoquant l’éducation et l’apprentissage.
Au second degré, peut on se laisser développer une religion apparaissant comme menaçante dans un pays chrétien ?
Les réactions ont été diverses suivant les régions de Suisse ; l’essentiel du débat a eu lieu en Suisse alémanique ou l’Islam tient une place de plus en plus importante. Aujourd’hui, les musulmans ont le sentiment d’être pointés du doigt, considérés comme une religion en marge : on assiste à une islamophobie croissante, suite à des faits divers violents dus à des jeunes musulmans. Pour élargir l’horizon, un entretien avec Mgr Hinder, évêque d’Arabie, révèle que dans la plupart des pays arabes, la liberté de culte est limitée de même que la liberté d’expression. A Abou Dhabi et dans les Emirats, les lieux de cultes ne doivent afficher aucun symbole ou signe visible de religiosité. En Arabie Saoudite, ce sont dans des maisons privées que se trouvent les lieux de prière. Quel est le seuil de tolérance ? la conversion. L’apostasie entraîne la mort et le bannissement dans sa propre famille.
Après cette introduction, Odile nous a projeté un DVD reprenant des interviews de 2 théologiens, d’une grande richesse, très dense, même si les minarets n’étaient pas le sujet premier. Chacune des assertions reçues par ce DVD demanderait un débat !
Ce DVD nous a ouvert l’horizon de l’attitude chrétienne, de l’apprentissage du dialogue.
Le débat proprement dit s’est ouvert : peu de questions sur les minarets, mais plutôt des témoignages, des commentaires.
Le premier intervenant fait remarquer la richesse du DVD, le respect de l’autre et l’authenticité du premier théologien qui s’est exprimé. Il regrette cependant que le second intervenant du DVD ait eu la phrase : annoncer et dialoguer ; en fait il aurait été préférable d’inverser la phrase : dialoguer et annoncer, parler et écouter avant d’annoncer.
Le second intervenant met l’accent sur les rapports des Chrétiens avec les musulmans en Terre d’Islam. : on ne peut pas juxtaposer ces rapports en terre européenne et en terre d’Islam. Il faut distinguer la question des rapports historiques et théologiques entre christianisme et islam, d’où naturellement des oppositions complexes, de par les conceptions différentes de l’Islam suivant les pays, et les écoles de l’Islam.
Cette question des rapports entre le Christianisme et l’Islam du point de vue théologique et historique est très vaste et ne peut être schématisée : ce qui s’est passé en Suisse est très différent de ce qui se passe en Europe (l’ensemble des suisses n’était pas forcément chrétiens, et ce n’était pas forcément leur adhésion au christianisme qui a motivé leur vote)
Il ne faut pas confondre la question des minarets (peut être un prétexte pour les partis politiques) avec le droit de construire des lieux de culte.
C’est un débat qui s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large : celui des rapports des religions avec l’espace public, les états sécularisés et la question du multiculturalisme.
Les états européens continuent-ils à prôner un mode d’assimilation aux populations étrangères qui exige de la part des étrangers un effort d’assimilation comme celui demandé aux premiers émigrés?
Le débat qui touche la Suisse et l’Europe est d’abord la question politique du multiculturalisme, plutôt que la question théologique du rapport entre christianisme et Islam, car il est évident que ni la Suisse, ni aucun autre pays européen n’est menacé par l’islamisation. Là n’est pas l’enjeu. Tous les pays islamistes l’ont été à la suite de conquêtes militaires. La vraie question n’est pas de savoir si les européens vont être islamisés, mais de savoir si les populations musulmanes qui s’installent en Europe accepteront l’effort d’assimilation culturelle et anthropologique que l’on a demandé aux populations émigrées précédentes.
Ce problème est très différent du problème des rapports entre Christianisme et Islam. C’est un problème qui va se poser encore longtemps, et il serait intéressant de savoir si l’Eglise dit quelque chose là-dessus.
L’Eglise Catholique en Europe, en France entreprend-elle ou non d’aller vers les musulmans ?
Père Rémy : on voit bien que la question de ce référendum a été traitée à plusieurs niveaux et en ce qui vous concerne ici, c’est par rapport à l’Eglise. L’Eglise catholique n’a jamais exprimé le désir d’aller voir dans les communautés musulmanes et d’annoncer l’Evangile. Qu’est-ce que l’on propose aux émigrés, quel modèle culturel et religieux leur propose t-on en leur demandant de s’intégrer ? Dans quoi vont-ils entrer ?
Le Père Rémy revient sur la question entre l’annonce et le dialogue : il ne faut pas inverser. C’est dans le dialogue qu’il y a rencontre ; ce n’est pas dans l’annonce. L’annonce c’est le résultat d’une rencontre de celui qui annonce.
Le dialogue suppose une capacité à entrer en relation avec l’autre et donc l’annonce peut éventuellement être faite par la suite, c’est ce que les moines de Tibéri ont essayé de faire, en s’installant là où ils étaient, là simplement pour vivre, pour rayonner de leur spiritualité…
Après de nouvelles révélations, on a pu voir comment des questions politiques interfèrent souvent sur la netteté de la lecture purement religieuse des évènements.
Un intervenant souligne notre dignité à annoncer l’Evangile, le chemin de l’exemplarité.
Une autre question porte sur l’intolérance, l’extrémisme et la possibilité d’avoir des mosquées sans minarets.
Ph. Casassus
Deux problèmes peuvent être entre croisés.
Un problème politico social : un pays chrétien qui a peur d’être envahi et qui se défend ; à la peur de l’extrémisme, il y a une réponse de défense, mais le résultat n’est il pas pire ? n’est-ce pas risquer de pousser des musulmans modérés vers l’extrémisme clandestin de la prière dans les caves des cités et aggraver ainsi les choses entre musulmans et chrétiens ?
Au point de vue spirituel : le dialogue est primordial et ce qui s’est passé à Assise constitue un créneau porteur vers la rencontre entre les différentes religions et les objectifs de paix, de solidarité, de prière.
Trouver ce qui peut rapprocher dans un sens de tolérance, mais non pas renoncer aux particularités de chacun.
Intervention : Imaginons des minarets à Montmorency….
Nous en sommes loin : les musulmans de Montmorency n’ont pas de finances (même pour un lieu de culte)
Dernières interventions : L’Islam a essayé de réagir de façon très claire contre l’ensemble du Christianisme. En Afrique du Nord, l’Islamisme est militant. Veillons à ce que l’Islam actuel en France ne devienne pas conquérant. La religion musulmane est beaucoup plus prosélyte que la nôtre, il ne faut pas nous laisser manipuler au nom de la tolérance. Ce n’est pas le minaret en France qui nous préoccupe mais le problème du voile intégral…
Les émigrés doivent accepter la culture des pays qui les accueillent, et rester discrets… ce n’est pas à eux de faire la loi…
Beaucoup de lieux de prières ont été financés par l’Etat…
Il n’y aura pas de paix dans le monde s’il n’y a pas de paix entre les religions.
Nous sommes tous des chercheurs de Dieu. Nous avons à nous apporter les uns aux autres sans vouloir se convertir..
- Rappel du livre de François Jourdan : Dieu des Chrétiens
Dieu des musulmans
Après le débat, le Père Rémy reprend la parole pour un développement en 3 points :
- Les clochers et les minarets inspirent les attitudes, les comportements qui portent sur la visibilité d’une religion dans le paysage social public, et à travers cette visibilité sur le rappel à la prière. C’est peut être plus l’annonce que le dialogue : ce rappel à la prière est une résultante du dialogue. Le paysage social est marqué par un langage qui se situe entre le symbole et la parole : ce qui est visible (minaret, salle de prière, mosquée) est-ce synonyme du lisible ?
Comment passer du visible au lisible ? Est lisible ce qui se donne clairement à voir (image, dessin) La parole peut être audible mais est-elle toujours paisible ? apparemment non quand on voit les réactions au référendum suisse.
Entre audible et paisible, il y a un chemin à parcourir. Par rapport aux faits, qu’est-ce que cela génère pour nous, en terme de l’inscription dans un paysage public, comme symbole visible et lisible, et aussi en tant que parole audible et paisible ?
- Pour parler de cette volonté de se comprendre, c’est à nous de nous comprendre (c’est le premier impératif qui est toujours de mise) parce que nous sommes entre nous, c’est à nous de nous comprendre. Quand nous sommes avec d’autres, nous dialoguons pour savoir comment les autres peuvent nous comprendre.
Il est nécessaire de comprendre d’abord les réactions :
- sur le plan socio culturel, c’est la peur de l’autre qui surgit en premier (parfois une question de survie et même de vie) Derrière cette peur de l’autre, il y a toujours la question de la reconnaissance de la différence : nous sommes déjà tellement différents entre nous ; cette question de survie est philosophiquement parlant un impératif catégorique.
Il se pose comme tel dans la question de survie.
Le désir de connaître : c’est quelque chose qui nous habite – tous les hommes désirent naturellement savoir – (Aristote). On ne peut pas s’arrêter au sentiment ou à la première réaction, ou à la première information.
- C’est notre but aujourd’hui : éclairer l’information et la conscience formée par la première. Comprendre ces réactions sur le plan socio culturel, c’est aussi admettre que connaître nous conduit à la restriction de notre propre liberté. A partir du moment, où j’apprends quelque chose, je ne suis plus libre de la même façon.
J’étais libre dans mon ignorance, je ne le suis plus dans la connaissance ; cela m’oblige à entrer en relation avec ce que je viens de découvrir d’une façon qui me fait exercer ma liberté autrement, sur d’autres bases.
Si cette restriction de notre liberté ne s’appuie pas sur une dynamique sous jacente de l’amour, nous n’irons pas loin.
Dans cette volonté de se comprendre et par rapport à la religion en France et par extension en Europe, c’est le positivisme du XIXème siècle qui a marqué notre façon de fonctionner aujourd’hui. Le positivisme considère la religion comme quelque chose d’irrationnel et donc s’opposant automatiquement à la rationalité scientifique, portée au sommet de la reconnaissance de l’esprit humain par les Lumières.
Cette doctrine nous pousse donc à nous fermer à l’irrationnel pour ne pas nous laisser influencer : il en découle donc une fermeture totale de la rationalité à la transcendance ( les religions prétendant nouer des relations transcendantes)
A cela se rajoute la mauvaise connaissance de la religion, pas seulement par ceux qui ne sont pas religieux, mais également entre les religions elles mêmes, à l’intérieur de chaque religion, confession etc…(pratiques parfois différentes suivant les lieux), entre membres d’une même communauté. Cette mauvaise connaissance culturelle entraîne un attachement affectif à certains points de cette culture ou de cette religion et qui servira de point d’appui pour justifier les attitudes.
C’est ce qui se produit avec les musulmans venant de situations culturelles (paysans, montagnards) et qui ne connaissent que l’islam culturel : ils essaient de transposer ‘’leur islam’’ dans le pays où ils arrivent.
- Rapports à la religion chrétienne : c’est ce fondement qui est contredit par les Lumières et par les Sciences qui donnent réponse à tout (c’était encore la prétention, il y a quelques années)
L’arrivée massive des expressions religieuses autres que chrétiennes oblige à un nouveau positionnement du rapport à cet irrationnel religieux.
Par rapport à la religion catholique, elle est discréditée dans ses structures et dans sa prétention à avoir l’exclusivité de l’influence sur la vision de la société et la morale qui en découle. 5% de Français de reconnaissent dans les valeurs chrétiennes
- En Europe, l’Islam et la Laïcité
Les musulmans français sont ils comme les autres Français ?
L’Islam est il compatible avec la République Française ?
Il y a un désir de montrer au nom de la religion, les signes d’appartenance religieux, culturels, politiques qui cachent et montrent quelque chose.
C’est le débat entre le visible (minaret) et le caché (la burqua)
Dans cette laïcité, gérer la présence religieuse (comme l’islam par exemple)
Pour le minaret, on a pu invoquer un argument urbanistique : c’est une non réponse, une réponse masquée à la question posée. Inscrire dans un paysage public, un signe visible, cela pose problème.
En Europe, d’une façon générale, il n’y a pas de problème de liberté religieuse ; on compte 18 millions de musulmans et une salle de prière pour environ 2000 musulmans : il n’y a donc pas de problème pour la prière. Cependant on note une augmentation croissante de l’intolérance vis-à-vis des groupes religieux (quelque soit la religion) : cela participe à la dynamique de l’évolution sociale.
En Décembre 2007, Angela Merkel signifiait qu’il ne fallait pas que les coupoles des mosquées soient intentionnellement construites plus hautes que les clochers des églises.
Au Royaume Uni, environ 1400 mosquées, et un appel à la prière permis à certaines heures
En Italie : oui aux clochers, non aux minarets, signal envoyé par la Suisse, et qui doit faire réfléchir.
- Pour conclure, comment nous comprendre à la lumière de l’Evangile.
- par une relation non immédiate à sa propre culture : tous ceux qui sont ‘’décollés’’ de leur propre culture d’origine sont obligés de faire ce travail de la mise à distance pour se re-situer dans un nouveau contexte, et accepter les impératifs d’obligations de la société.
Quand on veut comprendre à la lumière de l’Evangile : cette relation non immédiate est nécessaire. Il faut nous détacher de notre propre culture, et ne pas voir à travers notre culture ou notre réaction première. Nous devons transfigurer, aller plus loin.
Il faut sublimer pour aller plus loin, montrer quelque chose du Christ en nous : c’est un sacré défi pour les Chrétiens.
Eveiller à une rationalité ouverte.
Ce que le siècle des lumières et le positivisme ont fait comprendre comme obscurantisme dans la religion, s’ils regardaient de plus près, ils auraient vu à quel point la religion est rationnelle mais d’une autre rationalité., celle qui fonde les choses sur la transcendance et sur le spirituel et qui est excessivement logique.
C’est à nous et non aux autres de savoir comment nous présenter, à travers notre propre sensibilité, comme une religion qui fait appel à la raison.
Il faut également éviter la muséologie cuturelle des autres ou de nous-mêmes, c'est-à-dire comme si l’on considérait les autres comme des espèces menacées que l’on doit protéger.
Attitudes de l’Eglise Catholique par rapport à la situation des chrétiens en terre d’Islam : rapport de réciprocité de la liberté. Réaction des évêques allemands : Nous condamnons la restriction de la liberté religieuse dans les pays musulmans, mais nous ne devons pas seulement venir au secours des chrétiens là-bas, mais également intervenir en faveur des droits des musulmans chez nous.
En Indonésie par exemple, il y a 3% de chrétiens : pour une construction d’un lieu de culte, un référendum local est nécessaire : cela oblige les responsables chrétiens à négocier avec le gouvernement.
Récemment, en Arabie Saoudite, malgré les assurances, aucun changement notable n’a été noté.