2011/02/06 - Conférence-débat - ‘’PRENDRE SOIN DE SOI’’

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Père Rémy : Cette rencontre se tient dans le cadre de notre cycle de conférences où nous avons successivement abordé l’importance du père, puis la perversion, et la beauté de l’amour de la mère pour son enfant.

Aujourd’hui, nous sommes tous concernés puisque le thème de cette rencontre est ‘’prendre soin de soi-même’’. Comme à l’habitude, Jean Christophe Dardenne donnera un aperçu de la question à partir de son expérience de clinicien, et j’échangerai avec lui au cours de son exposé. : je suis justement chargé de donner des éléments, sous forme d’interrogations ou sous forme de quelques éléments positifs sur le rapport de la dimension spirituelle et croyante, par rapport au thème décliné.
Philippe Casassus joue le rôle de celui qui introduit, le Candide. Il fait le lien entre la vie quotidienne et le thème abordé aujourd’hui.

 

Philippe Casassus : Prendre soin de soi… vous parliez de ce slogan publicitaire de l’Oréal qui est ‘’parce que je le vaux bien’’ Quand on entend ce slogan, le premier réflexe est de sourire mais plus profondément, c’est un slogan qui me gène beaucoup personnellement et qui me met mal à l’aise.
En prenant un peu de recul, notre petite personne, comment s’y intéresser et vis-à-vis de ce thème, il y a toute une ribambelle de réactions et vous allez peut être nous aider à mettre le curseur entre les deux extrêmes, un extrême, le discours des psychiatres qui est de dire : il faut commencer par s’aimer un peu soi-même avant de commencer à aimer les autres. J’ai noté un certain nombre de phrases : ‘’il faut s’aimer soi-même, pour commencer à s’intéresser aux autres’’, ‘’ pour aimer quelqu’un d’autre, il faut commencer par s’aimer soi-même’’.
Il faut donc commencer par s’aimer pour donner à l’autre une chance de nous aimer Avoir un regard positif sur soi-même avant d’être capable d’avoir ce regard positif sur les autres, et après tout, dans l’Evangile, il y a ‘’Tu aimeras ton prochain comme toi-même’’ donc, il faut commencer par s’aimer un petit peu pour savoir comment aimer l’autre. C’est un premier élément : on peut dire qu’à partir de là, jusqu’où faut-il s’aimer soi-même ? C’est là qu’il y a un curseur à mettre car de l’autre versant, le discours de l’Evangile est de nous dire de mettre les autres avant soi-même. Est-ce qu’il faut que je passe tant de temps à m’occuper de moi-même ? et la phrase de l’Oreal a un deuxième sens qui me gène beaucoup : ‘’parce que je le vaux bien’’…
Comment puis-je me juger moi-même, de quel droit je dis que je vaux quelque chose ?
 Une étude actuelle sur la correspondance de JJ Rousseau avec le Docteur Tronchin, médecin, philosophe et pasteur de Genève, me permet de vous citer une phrase qu’il adresse à JJ Rousseau :
‘’ la plus profonde humilité est l’état qui convient à l’homme’’ ‘’ Il n’est d’homme respectable que celui qui est pénétré de sa petitesse et de la grandeur de Dieu’’
A partir du moment où je suis pénétré de ma petitesse, comment puis-je dire : je vaux bien que l’on s’occupe de moi, de mon corps, de ma façon de vivre. Peut être que dans certaines situations, il faut penser un peu plus à soi-même et dans d’autres conditions, un peu moins ? Où placer le curseur ?
C’est sur ce point que je souhaite que vous réagissiez.
Personnellement, je ne me sens pas à l’aise avec cette phrase : comment je peux juger les autres ? je juge des actes, des comportements et non pas les autres.
En conclusion, c’est un slogan à l’emporte pièce qui me gène.

 

Jean Christophe Dardenne : ‘’parce que je le vaux bien’’, cela m’horrifie, c’est synonyme d’horreur car c’est le narcissisme ultime, c’est le sujet qui s’auto congratule, qui s’auto justifie et jusqu’où, jusqu’à quelle limite, et y-a-t-il une limite dans cette proposition ? Effectivement, pour moi, c’est le danger ultime de  la position narcissique où il n’y a que l’ego qui parle : c’est parce que ‘’je’’vaux, j’ai le droit. Celui qui énonce cette phrase, c’est quelqu’un qui s’autorise le droit de satisfaire toutes ses pulsions : il est totalement sans limites.
C’est ma position par rapport à cette phrase qui me semble extrêmement dangereuse. Cela rejoint les positions de la psychiatrie américaine de l’ego psychologique où effectivement tout le but des soins, dans l’ego psychologique, c’est s’aimer suffisamment, il n’est plus question de relation à l’autre, c’est effectivement faire que le sujet s’aime suffisamment, qu’il ait une estime de lui-même suffisamment forte et après éventuellement qu’il s’intéresse aux autres. C’est une position théorique très particulière de la psychiatrie américaine à laquelle  je n’adhèrerai pas forcément.

 

RK : je vais tout de suite intervenir car effectivement, je dois vous avouer pourquoi j’ai proposé ce thème avec cette formule, puisque nous étions en train de préparer les précédentes rencontres, et initialement, il était prévu que notre série s’arrête à la 3ème rencontre. Entre temps, j’ai reçu quelqu’un qui m’a parlé de son psy qui lui disait : il faut s’occuper de soi même, prenez soin de vous. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?   La personne ne savait pas par quel biais mordre et elle se sentait rassurée au début, et en même temps, elle ressentait une grande insatisfaction : c’est ainsi que m’est venue l’idée de cette rencontre.

 

JCD : ce qui m’a préoccupé lors de la préparation de cette conférence, c’est que même si je n’ai pas grand-chose à dire sur ce sujet, c’est que je pense que prendre soin de soi, c’est une affaire personnelle, intime, et il n’y a pas de règles pour cela. Prendre soin de soi, cela peut être se nourrir de littérature, de musique, se nourrir de spirituel. Chacun a sa façon de prendre de bonnes choses dans l’environnement. Prendre soin de soi, c’est se nourrir de bonnes choses pour soi et cela touche tout individu.
Je suis soignant, je prends soin des autres mais il n’est possible de prendre soin des autres qu’à partir du moment où l’on a en soi suffisamment de bonnes choses à transmettre. Il n’est pas possible d’être soignant tout le temps. Il y a des moments où effectivement il vaut mieux renoncer à la position soignant, quand soi-même, on est en proie à des choses difficiles. J’imagine un psychiatre gravement déprimé, il vaut mieux qu’il ne donne pas de consultations, car il va transmettre sa mauvaise humeur à ses patients, même malgré lui.
Donc, ma position : prendre soin de soi, oui, mais c’est notre lot à tous pour prendre soin des autres, c'est-à-dire, si je suis suffisamment bien moi-même, je transmets à l’autre quelque chose de bon : c’est dans l’interaction, ce n’est pas prendre soin de soi pour soi, c’est prendre soin sachant que l’on vit en communauté et qu’effectivement, on se soutient les uns les autres, et être suffisamment plein de bonnes choses pour pouvoir transmettre à mon prochain ce qu’il y a de bon en moi.

 

RK : on peut s’arrêter là-dessus, car j’ai envie de rebondir sur le plan philosophique. Vous avez dit : c’est une affaire tellement intime et chacun doit pouvoir prendre ce qui lui convient. On voit bien que l’on est dans une approche qui respecte le ressenti intime de chacun et après, à partir de ce ressenti, on se construit un modèle un peu idéalisé : comment, moi je voudrais me situer dans la vie, où je sens le besoin d’une certaine harmonie entre le bien que je voudrai faire découvrir  à l’autre et le vrai dans lequel je suis.
S’il n’y a pas d’harmonie, je ne sens pas comment je pourrai accomplir l’un sans m’appuyer sur l’autre.
Et donc, dans la vie ensemble, en élargissant cela à des cercles encore plus larges, la vie de société, comment puis-je être utile, dans le sens d’être un maillon d’une chaine de solidarité, d’entraide, etc..
Je voudrais revenir sur l’harmonie de soi, parce qu’on se rend compte, aujourd’hui, et dans la vie spirituelle, c’est exactement pareil, qu’on est tous en train de chercher le lien et l’harmonie entre le bien, le beau, le bon, le tout enfermé par le vrai.
Dans la philosophie antique grecque, chez Platon, dans son Banquet qui parle de l’amour vrai, il intègre ces 3 éléments : le beau, le bien, le bon : c’est l’harmonie des trois qui doit pouvoir juger de la qualité du vrai. Or, au cours de l’histoire de la philosophie, on est arrivé à bien séparer ces trois éléments, et pour certains, c’est le beau (extase, art, couleur) en appréciant une harmonie, pour les autres, c’est ce qui est utile- ce qui est bon pour moi est bon pour les autres- et pour d’autres encore, quel est le bien qui en résulte de tout cela : est-ce précisément  être bien, d’être, ou d’agir comme cela ?
Je me rends compte personnellement que nous sommes dans un ensemble mental où à la fois, on a réussi à séparer le bien du bon et du beau, et en même temps, fondamentalement, on est toujours à la recherche de cela, mais par un autre biais, non plus par le biais de principes qui seront érigés par quelqu’un de l’extérieur de nous-mêmes, et qui seront donnés comme des règles à suivre, mais tout ceci doit s’ élaborer à l’intérieur de  mêmes. Nous sommes sur le chemin de la recherche de sens dans la vie.

 

JCD : Ces termes là ont été non seulement séparés mais ils ont été clivés. Le bon seul, c’et le principe de plaisir qui peut conduire à la soif de jouissance, le beau seul, un épicurisme forcené qui peut conduire au narcissisme (seule l’apparence compte), mais le risque c’est que cela fait des sujets vides, soumis à l’envie  et à la jalousie, car rien n’est intériorisé en eux, et quant au vrai tout seul, la vérité qui n’est pas reliée à quelque chose de subjectif, un phénomène purement intellectuel, cela conduit soit à une dictature de la transparence, c'est-à-dire que l’on devrait tout voir, tout savoir, un monde où il n’y a plus d’intime, soit la paranoïa.

Je voudrais introduire une notion bouddhiste : le monde n’est pas parfait. Il est en perpétuel changement et c’est la permanence de l’immanence, c'est-à-dire, cette évolution, cette transformation, adaptation du monde, le réel, c’est cela : ce n’est pas quelque chose de figé mais en perpétuelle évolution. De ce fait, on a beaucoup de mal à définir ce qui est vrai.
Ce qui est vrai à l’instant T, ne l’est plus un siècle plus tard, ni même quelques jours plus tard, parce qu’il manque toujours quelque chose dans ce monde.
Ce qui manque, ce qui est fondamental, c’est à l’origine de la vie et du désir, c’est dans ce manque existentiel que se développe l’amour. C’est parce que les choses ne sont pas parfaites que peut advenir l’amour.
C’est cela ma théorie, car l’amour c’est d’abord assumer son imperfection, reconnaitre la différence de l’autre. A partir du moment où je ne suis pas fermé, où je ne suis pas parfait, il y a de la place pour l’autre, donc de la place pour l’amour.

 

RK : Quand nous avons préparé cette rencontre, au marché de Noël, j’ai trouvé ce verre de l’Oréal : comme on le voit, ce n’est pas seulement la belle blonde mais aussi un beau brun. Cela veut dire qu’il y a eu un modèle dominant : l’unique vraie était blonde, mais L’Oréal s’est rendu compte des réactions négatives : on a retenu l’image mais pas le produit proposé : ils ont alors proposé une alternative -c’est très subtil- ; A partir d’un modèle unique, on est parvenu à un élargissement de la gamme proposée, car c’est en termes de produits qu’il faut parler et sous prétexte d’être démocratique. Mais on reste toujours dans la même équation entre ‘’parce que je le vaux bien’’ et ma propre conscience d’être belle.

 

JCD : je reviendrais sur la conscience d’être imparfait. L’ouverture à l’autre ne passe que par la prise de conscience de ce manque de perfection et qu’il y a une place pour l’autre. De ce fait, nait la relation. Sinon, il n’y a pas de relation authentique, il n’y a que des relations sociales toujours dirigées dans son intérêt)
A partir du moment où l’on est dans l’échange, dans l’enrichissement mutuel dans le dialogue, c’est parce qu’il y a deux êtres imparfaits : c’est la condition sine qua non pour pouvoir établir un dialogue.

 

RK : cela voudrait-il dire (allusion aux produits l’Oreal) que ce qui est ici, ce sont des produits parfaits ?

 

JCD : qui se suffisent à eux-mêmes

 

RK : Voilà justement, parce qu’il y a une distinction que les philosophes font entre un sujet, un être qui pense, qui a une liberté de décision, qui est sujet de lui-même - c’est moi qui ressens les choses-, c’est moi qui décide comment les choses de ma vie vont se dérouler : donc, cela c’est le sujet (toute la philosophie est allée dans ce sens pour accentuer la valeur du sujet et donc à ce moment là, il y a le sujet et il y a aussi l’objet.
Ce verre, que représente-t-il ? ces deux images de têtes, brune et blonde¸sont-elles des sujets ou des objets voilà  déjà le problème qui se pose sur le plan philosophique.. Que voit-on ? si ce sont des objets, on peut parler de leurs qualités (reproduction, qualité extérieure etc.) puisque c’est cela un objet : on lui attribue des qualités à partir d’une certaine échelle de valeurs (ex. une pièce de voiture usinée).
On va trouver des qualités techniques et parmi ces qualités on va également trouver quelque chose de beau, et c’est cela L’Oréal : ils ont amalgamé le sujet et l’objet de façon extrêmement futée ; ce qui est normalement une qualité technique a pénétré les pores de la peau pour lui conférer une qualité au sens de la beauté : ce n’est pas seulement une efficacité, c’est quelque chose de beau. Le beau renvoie dans la spiritualité à la beauté de l’âme. L’Oréal a réussi le pari de joindre les deux bouts.
La beauté de l’âme à laquelle on peut parvenir, si on réfléchit 3 secondes, effectivement je ne sais pas si à partir de ces produits, on peut y arriver mais théoriquement, on peut y arriver et du coup, prendre soin de soi¸ utiliser les bons produits, non pas pour maquiller, ni pour tromper ou travestir, tout simplement pour rendre la vie plus agréable.

 

PC : C’est prendre soin de soi, mais il y a le slogan : parce que je le vaux bien.
Comment réagir ?

 

RK : prendre soin de soi cela va, mais il faudrait  voir jusqu’au bout, car c’est le problème de savoir où commence, où se termine l’égoïsme dans le fait de prendre soin de soi ; si je ne suis pas relié aux autres, je prends soin uniquement de moi, à partir de ce que je pense être bon pour moi : il n’y a rien d’autre.
Alors, parce que je le vaux bien : là commence un grave problème philosophique. Parce que, qui va décider ce que je vaux, étant donné que dans la philo moderne, le ciel s’était effondré, ensuite on a déconstruit le sujet, on procède à la destruction de notre plancher c’’est à dire, le ciel n’est plus, le plancher bouge, donc on prend conscience de la fragilité de la terre et de l’univers et donc on est complètement émietté, c'est-à-dire, on ne sait plus où chercher le référentiel pour répondre à la question : qui me dira que je vaux quelque chose.

 

JCD : j’aurais bien une réponse par rapport à ‘’parce que je le vaux bien’’
Par rapport à la conférence précédente sur la mère, je pense que le seul sujet qui est dans ce stade là, d’auto suffisance et qui a l’impression d’être le centre du monde et qui vaut tout : c’est le nourrisson de moins de 1 an.

 

RK : cela voudrait-il dire : dans ce slogan, s’il est compris comme cela de façon extrêmement enfermante, qu’il a touché un ressort, qui sommeille en nous, du nourrisson ?

 

JCD : de cette phase égocentrée du nourrisson où il est tout puissant, car il a une mère à sa disposition tout le temps.

 

RK : mais qui est cette mère aujourd’hui

 

JCD : L’Oréal

 

RK : c’est la mère qui donne tous les produits

 

RK : vous voyez sur quoi est construit ce slogan, et du coup, il n’y a plus de père.
Je voudrais prolonger cette question par rapport au référentiel. Si je ne trouve pas en moi de  perspectives suffisantes et si j’ai tout misé sur la beauté corporelle, je sais qu’à un moment donné, puisque je suis dans  un corps périssable, je suis obligé  de ne pas faire confiance totalement à l’Oréal.
Qui décidera que je vaux quelque chose ?
Trois possibilités s’offrent à nous :
- Moi-même, tout seul, et je prends chez les autres, en les considérant comme des objets et non pas comme des personnes ; je prends le produit mais je ne m’intéresse pas à eux, je me construis mon sens à moi, et cela induit un manque de comportement vis-à-vis des autres.
- Je cherche à établir une relation de personne à personne avec un autre vis-à-vis, et avec plusieurs, j’essaie d’établir une relation, une communication grâce à laquelle je pourrais échanger entre ce que je pense, ressens, crois et ce que les autres pensent, ressentent  et croient. Nous allons construire ensemble (c’est le modèle des humanistes) mais uniquement au niveau horizontal.
- Je cherche une chose, un sens que quelqu’un d’autre me donnera et que j’accepterai comme vérité révélée d’une manière ou d’une autre (pas seulement la révélation judéo chrétienne) et qui me permettra d’accéder à la connaissance de quelque chose qui me dépasse, et que je prends plus ou moins comme argent comptant.

 

JCD : Je voudrais développer la théorie du manque et de l’imperfection ; cela me semble la pierre fondamentale de l’humanité, c'est-à-dire, c’est parce qu’il me manque quelque chose que je souffre, parce qu’il me manque quelque chose que je vais mourir. C’est cette imperfection sublime de l’être humain qui fait  sa fragilité et en même temps la place qu’il laisse à l’autre, cet autre que l’on attend pour le dialogue, pour l’enrichissement mutuel, mais aussi pour l’empathie et la confiance. La règle fondamentale chez les médecins : ils ne peuvent pas se soigner eux-mêmes. Ils peuvent prendre soin des autres, mais pas d’eux-mêmes. C’est la règle de base pour tout médecin de consulter lorsqu’il est malade, malgré toute sa technique et toute sa science. C’est fondamental, c’est la règle de la limite ultime de cette science qu’est la médecine.
Avoir besoin de l’autre : c’est uniquement l’autre qui peut apaiser la souffrance. La souffrance qui est le propre de l’humanité ne peut être apaisée que par l’autre. Seul l’autre peut apaiser le manque, manque à être, manque de l’amour fusionnel avec la mère (nous avons tous subi l’arrachement), manque de ne pas tout avoir, manque par rapport au repos.
Ce manque nous oblige à être en relation avec l’autre : c’est l’autre qui va prendre soin de nous, de notre souffrance.
Sans relations authentiques, il n’y a pas d’apaisement.

 

RK : Est-ce que fondamentalement, on est dans ce registre quand on parle du besoin de pallier au manque, parce que, effectivement ces 2 produits l’Oréal que nous voyons, sont le résultat d’un constat de manque. L’Oréal a résolu le problème, alors que nous n’y parvenons pas. Mais s’il l’a résolu, c’est parce qu’il l’a traité à partir du manque existentiel et sur le plan de solutions par rapport à un manque accidentel – un élément de la beauté – mais en activant le ressort existentiel, et c’est en ceci que c’est terriblement pernicieux, parce que cela endort…

 

JCD : c’est pire, même, cela anesthésie…

 

RK : cela anesthésie et qu’est-ce qui peut nous réveiller ? Comment se réveille t-on dans la vraie vie ? – par l’amour de l’autre - : si on ne croit pas au dialogue, il n’y a pas d’amour de l’autre ; sans relation interpersonnelle, rien n’est possible et même les soins, aussi légitimes qu’ils soient n’auront pas de bon effet.

 

JCD : C’est fallacieux de faire croire aux gens qu’ils peuvent se soigner seuls avec les produits en vente libre dans les parapharmacies. Il faut que le soin passe par l’autre. Si ce n’est pas donné par quelqu’un, le soin n’aura pas la même efficacité. C’est un mensonge de faire croire aux gens qu’ils peuvent se soigner seuls.

 

RK : Sur le plan spirituel, qu’est ce que prendre soin de soi ?
Prendre soin de soi sur le plan spirituel par rapport à l’attention que l’on va porter ou non sur la  question de la nourriture spirituelle (prière etc.) mais aussi à l’intérieur du rapport entre les dépenses d’énergie et le repos ; Comment je prends soin de moi ?

 

JCD : la question, comment prendre soin de soi sur un plan spirituel ou sur le plan psychiatrique en ce qui me concerne, c’est jusqu’où peut-on s’engager, qu’est-ce que l’on peut faire ou ne pas faire. : Il y a des choses pour ma part qui ne sont pas possibles: m’engager à soigner l’autre, oui, mais pas au risque d’y perdre ma raison, c’est à dire qu’un patient qui délire, je peux l’accompagner jusqu’au seuil de son délire, prendre soin de lui jusqu’à cette limite, mais après il est hors de question que je l’accompagne dans son délire.

 

RK : pour faire la transition avec le débat, je voudrais juste citer quelques citations bibliques où il est fait référence au corps.

Dans le Qohelet : ‘’Fils, épargne la souffrance à ton corps’’
          ‘’ Trop d’études deviennent une fatigue pour le corps’’

Dans le livre d’Ezechiel ‘’ nourris ton corps avec  ce rouleau, et mange la parole’’
                                 ‘’ les Egyptiens, tes voisins aux corps vigoureux’’

Dans le livre d’Daniel ‘’ l’ange va te fendre par le milieu du corps’’

Peu de références dans le Nouveau Testament : Evangiles de Luc et Matthieu. (ne pas se tracasser de comment vous allez vous occuper de votre corps)
Epitre de St Jacques : nécessité de nourrir le corps de notre prochain avant toute autre chose.

 

Débat :

 

Le premier intervenant fait état de l’importance d’aller à la rencontre de soi-même, en toute humilité. Comme nous ne pouvons pas nous juger nous-mêmes, c’est l’autre qui va m’apporter : c’est la fertilisation croisée qui nous permettra ainsi d’aborder la finalité : la beauté et l’harmonie.
Il souligne également l’importance d’éduquer la sensibilité des enfants.

 

Seconde intervention : Prendre soin de soi. Certains souffrent de dépendance affective : ils recherchent les autres, ils ne savent pas agir seuls, ils cherchent sans cesse l’affect des autres pour sortir d’eux-mêmes. Alors même, s’il faut s’oublier soi même pour s’occuper des autres, cela peut être parfois dangereux. Nous sommes dans une société où s’oublier soi-même rime souvent avec se faire marcher dessus.

 

JCD : jusqu’où aller dans la relation et dans l’amour et dans le soin des autres ? je dirais, sûrement pas jusqu’au sacrifice, c’est interdit. Il y a toujours une limite et un curseur à mettre dans cette ouverture à l’autre, dans sa dépendance à l’autre. C’est une maladie humaine d’être dépendant des autres.

 

RK : J’ai trouvé sur internet en tapant ‘’parce que je le vaux bien ‘’des millions de réponses : j’ai retenu 3 idées super fausses pour rater sa vie.
- La souffrance et le travail acharné sont les ingrédients de la réussite
- La plupart des gens réfléchissent : dire je ne sais pas, c’est déjà commencer à réfléchir.
- L’amour consiste à donner plus qu’à recevoir.

 

Cette dernière assertion interpelle.

 

Un intervenant : c’est une phrase que j’entends souvent quand j’anime un groupe de paroles : je reçois des milliers de choses que je ne donne pas. Je réponds en ce cas : si vous recevez plus que vous ne donnez, c’est que vous êtes dans le faux, dans l’erreur, parce qu’une relation convenable, c’est un échange à deux qui est productif : c’est la fertilisation croisée.

 

JCD : on ne peut pas échapper aux affects des êtres humains. La seule façon d’y échapper, c’est la voie narcissique.

 

Un intervenant fait remarquer que l’on ne reçoit pas un retour immédiat, mais souvent un peu après.

 

RK : entre donner et recevoir, quelque part, cela s’équilibre mais pas dans une réciprocité immédiate.

 

Un intervenant : c’est souvent très subjectif. Certains sont surpris de recevoir. Ce n’est pas au même niveau que l’on donne et que l’on reçoit. Pour St Augustin, l’amour est une dette et ce n’est pas parce qu’on la rembourse que l’on n’est plus débiteur. Plus on rembourse, plus on est débiteur. On donne et on demande beaucoup.

 

JCD : pour pouvoir s’aimer, il faut que l’autre apporte quelque chose dans la différence.

 

Question : Comment aborder le sujet au point de vue de la Trinité ? par rapport au manque.

 

RK : pour une vraie relation, il faut être trois. La réaction binaire n’est pas une véritable relation, c’est juste le démarrage pour une relation féconde. Il faut un tiers et ce tiers, c’est effectivement, ce qui nous dépasse tous les deux, dans le cheminement spirituel et dans la réflexion.
Celui qui nous dépasse tous les deux, ce rappel de la lettre de St Augustin m’a fait voir toute cette dimension  de l’infini de l’être humain : plus je te donne, plus je reçois etc… avec Dieu, nous sommes exactement dans cette même équation et si lui, expliquait cela, c’est pour faire comprendre jusqu’où va l’amour de Dieu.
Donc cela suppose que nous acceptions cette ouverture à l’infini et cette ouverture, elle est déjà en nous-mêmes. On arrive à comprendre que, de par notre condition humaine, il y a en nous quelque chose qui nous dépasse infiniment, à quoi, je me rends peu à peu sensible et que je découvre.
Il y a cette ouverture à l’infini et donc dans cette relation avec l’autre, quand on sait tous les deux que nous sommes tous deux dépassés par ce que l’on porte, du point de vue de notre nature humaine, à ce moment-là, une vraie relation dialoguante  s’établit, parce que cette relation, elle est pleine de surprises.
La Trinité, c’est cela : C’est Dieu le Père qui communique son amour avec son Fils éternellement et ce qu’il y a entre les deux, c’est l’Esprit Saint ; celui qui est à la fois dans la Trinité et agit en nous, en  même temps.

 

JCD : Lacan m’aidera dans ma réponse. Dans le dialogue entre deux sujets, il n’y a de dialogue possible que s’il y a la place pour le tiers, c'est-à-dire, le Grand Autre, celui qui est transcendant, qui est derrière le miroir. Il y a l’apparence, ce que nous donnons tout un chacun et en deçà, il y a quand même le grand Autre, celui qui structure, et en même temps incarne la loi.  Ce sont  deux choses : à la fois ce qui dépasse le cadre du sujet et ce qui incarne la loi.
Je le vois advenir avec mes patients quand effectivement, le cadre thérapeutique est bien fixé, il est clair que je suis à ma place, et ils restent à leur place, et sont protégés par cela : il y a des dialogues extrêmement féconds qui apparaissent même chez des gens qui ne se soupçonnaient pas capables d’une telle profondeur de dialogue : cela les dépasse, c’est le cadre qui a institué cela.
Le but du psy, c’est de faire toucher des profondeurs que le patient ne touche pas habituellement tout seul. C’est faire advenir la conscience des choses qui font partie de l’humanité et dont chacun n’a pas conscience.

 

RK : comment le médecin aborde cette dimension de dépassement de soi sur le plan ontologique ? est-ce que vous prenez cela en compte en soignant ?

 

PC : Dans l’échange entre deux personnes, ce n’est pas juste un troc. Il y a quelque chose de plus qui est le grand Autre, qui est Dieu : cela induit une amplification de la relation, une amitié peut se développer et entrainer quelque chose d’autre dans la relation entre le médecin et le patient. Il n’y a pas que le service rendu par le technicien, il y a une relation qui se crée.

 

JCD : En tant que psychiatre, quelque chose me surprend toujours : les patients les plus malades et les plus déficients, si je me pose clairement comme respectueux de l’autre dans toute sa dimension humaine, ne le jugeant pas comme fou, malgré des troubles qui peuvent le conduire à la folie, ni comme déficient, mais toujours comme sujet, je suis très souvent surpris par l’intelligence et la profondeur des propos de mes patients, parcece que je protège ce cadre là, qui est le respect de la personne humaine. Le respect absolu de la conscience et de la liberté de la parole de l’autre, n’importe qui peut adopter cette position, pas seulement le psy. Le dialogue ne nait que de la surprise. Tout ce que l’on attend d’un dialogue, c’est souvent très narcissique, cela nous fait plaisir : le vrai dialogue nait de la surprise.
Il faut du respect dans le dialogue ; Si je dis’’ parce que je le vaux bien’’, c’est que je me sens supérieur à l’autre, et de ce fait, il ne peut pas y avoir de dialogue.

 

RK : c’est un point très important

 

Un intervenant : on agit souvent par instinct dans l’urgence, lorsqu’il faut apporter un secours à quelqu’un…

 

JCD : je mettrai beaucoup plus de valeur à ce que vous faites par instinct. Je pense qu’on fait ce que l’on ressent au plus profond de soi, et dans ces moments là, c’est plus le corps qui pense que l’intellect, parce que le corps pense aussi.

 

Une intervenante fait remarquer que le slogan de l’Oréal a été détourné de son but premier : il était destiné à conquérir le marché chinois, en affirmant que les femmes chinoises avaient le droit de s’occuper d’elles mêmes : dans ce sens le slogan correspondait à une réalité, l’accession pour certaines femmes au droit de prendre soin d’elles, mais ce slogan a été détourné.

 

Un intervenant :’’Aime ton prochain comme toi-même’’ : cela veut donc dire qu’il faut s’aimer pour pouvoir prendre soin de l’autre : dans ce sens ‘’parce que le vaux bien’’ ne doit pas être pris négativement.

 

RK : Aimer l’autre parce qu’on arrive à s’aimer soi même, comme condition, mais elle est aussi accompagnée d’une autre condition : ‘’comme je vous ai aimés’’ donc, cela veut dire que la référence est à l’extérieur. La référence est ensuite éventuellement intégrée parce que son contenu a imprégné mon être et cela rejaillit sur  le comportement relationnel, mais c’est la première référence, Jésus qui dit : ‘’aimez vous les uns les autres, comme je vous ai aimés’’

 

JCD : je voudrais revenir sur la structuration de l’enfant. Effectivement, il ne s’aime pas autrement qu’en termes narcissiques ‘’parce que je le vaux bien’’ lorsqu’il est un nourrisson de moins de1 an :il est alors maitre du monde. Ensuite, l’enfant, parce qu’il intègre l’autre ne s’aime que parce qu’il est aimé de ses parents ; Il apprend à distinguer le bien et le mal. C’est pour cela que l’enfant s’aime. Après il a besoin de l’amour des autres, pour s’aimer suffisamment; sinon, il reste au stade d’ego, tout puissant.

 

RK : vous insistez sur cet enfermement, alors que c’était dans la dynamique sociale et commerciale à la fois, ‘’parce que vaux le bien’’ : ce devait être une étape de la libération de la femme.

 

Une intervenante : le verbe valoir s’emploie généralement pour un objet et non pas pour un sujet, ou alors dans ce cas, c’est en termes négatifs : il ne vaut rien…

 

RK : c’est là l’ambigüité. On construit une relation à partir d’une valeur qui est quantifiable mais cela n’enferme pas et en cela je rejoins cette intuition que c’est une manière de… cela n’enferme pas le regard. Cela dit seulement la partie visible mais puisque c’est un corps, cela induit de façon suggérée ce rapport à la valeur en soi, mais après, il faut voir comment c’est traduit. Cela nous permet de voir, dans la dimension purement occidentale, le danger.
Quand on replace cette question, ce slogan peut prendre des facettes différentes.

 

Un intervenant : dans la Bible : ‘’ tu as du prix à mes yeux, et je t’aime’’

 

JCD : la valeur est donnée  par l’autre et non par soi même.
Parce que je le vaux bien et parce que je ne vaux rien : ces deux discours sont très mauvais.

 

Un intervenant : actuellement, il y a beaucoup de formations au développement personnel, aux thérapies de groupe en entreprises.

 

JCD : ces organismes qui s’occupent de cela, ces thérapies proposées en entreprises cachent souvent des sectes. Je condamne cette branche de la psychiatrie qui nous vient des Etats Unis où le but sans arrêt, c’est de réaffirmer son ego, sa valeur, je trouve cela dangereux

 

Un intervenant : mais nous sommes tout de même des personnes avec un je, nous n’avons pas à nous laisser piétiner.

 

Un intervenant : il y a un danger dans la société où l’on perd son individualité, où l’on est dirigé en masse…

 

JCD : je voudrais prendre le débat par rapport à l’ego ou au je
Ce n’est pas s’affirmer ou être soumis ; il y a une autre voie : s’affirmer en tant que sujet et dire ce que l’on ressent soi, et soi, ce n’est pas je.
Face à quelqu’un qui agit comme un tyran, oser lui dire : tu me fais peur, cela peut lui faire du bien à ce tyran ! dire simplement, humainement  ce l’on ressent face à quiconque.

 

Un intervenant : s’occuper de soi, en tant que chrétien, n’est-ce pas s’abandonner au Christ ?

 

JCD : Prendre soin de l’autre, c’est possible, si soi-même, on n’est pas trop mal – au risque d’aller encore plus mal – Il faut s’appuyer sur les bonnes choses qui sont en nous, et savoir qu’on peut les transmettre.
Les gens trop gentils, trop parfaits : attention, danger ! il faut être gentil, mais pas trop…


 
Un intervenant : comment agir avec des proches vraiment très mal ?

 

JCD : avec les patients qui sont vraiment très mal, qui n’écoutent plus rien, je n’écoute pas complètement ce qu’ils disent, car ce n’a pas de sens, mais je vais faire des commentaires sur ce qu’ils font ; s’ils sont agressifs, ou mal élevés, je vais leur dire, et je les ramène comme cela à la réalité, sur des conseils de base, sur le quotidien.
Je leur rappelle la loi des relations de base : il n’y a que cela qui ait du sens et cela fonctionne.
S je pensais que la loi n’a aucune action sur le sujet, j’arrêterai d’être psychiatre. La loi verbalisée a une action. On peut aussi leur parler de l’affect.

 

RK : Tout en rappelant la loi, et en y mettant de l’affect, vous rappelez à votre patient que vous êtes aussi un sujet, et c’est à ce titre que vous le prenez comme sujet et non comme un objet à soigner.

 

Conclusion :

 

Dans l’Encycopedia Universalis, j’ai cherché le mot ‘’Bien-être’’ et j’ai trouvé ceci :

- L’illusion quantitativiste : il s’agit d’un bien-être matériel par lequel nous nous entourons.

- L’illusion essentialiste : quelque chose qui peut procurer un bien-être à partir de ce que je crois être essentiel dans mon existence, pour moi personnellement, (non pas par les objets dont je veux m’entourer pour être bien, mais quelque chose qui vient de moi)

- L’illusion politique : bien-être politique : un projet de société pour construire une vie d’ensemble harmonieuse comme une construction harmonieuse

- Mort ? Survie ? ou Résurrection ?