2011/05/22 - Conférence-débat - Portrait spirituel de Jean-Paul II
Conférence du Père Rémy Kurowski le dimanche 22 mai 2011-
Je vais d’abord vous présenter différentes étapes de la vie de Karol Wojtyla afin de dénicher le fond de sa vie de croyant. Il est né le 18 mai 1920 dans une ville d’environ 30.000 habitants à 30 kms à l’ouest de Cracovie. La date est importante : mai 1920 c’est un printemps qui marquera l’histoire de la Pologne : La guerre entre la Russie bolchevique qui vient de connaitre la révolution de 1917 et le nouvel état polonais, avec cette incertitude qui pèse sur la Pologne, au sujet de ses frontières aussi bien à l’Est qu’à l’ouest.
Le père de Karol est un militaire qui a travaillé au service de l’empire austro hongrois en tant que sous officier. Le destin de Karol sera donc marqué par sa culture polonaise du sud sous l’influence austro hongroise. Très jeune, il prendra conscience de son appartenance à une culture composite. La guerre entre la Russie bolchévique et la Pologne naissante marquera les frontières de la Pologne, de façon stable jusqu’en 1939, puisque les troupes bolchéviques seront arrêtées au bord de la Vistule et ne pourront pas prendre Varsovie. C’est dans ce contexte de la Pologne naissante que Karol va vivre ses premières années, dans un ensemble culturel composite. Son enfance est celle de tous les enfants ; il aimait le football, avait des camarades de quartier, servait la messe et vivait dans un appartement avec ses parents.
Il est marqué par le décès de sa mère, alors qu’il avait 9 ans ; 3 ans plus tard, son frère ainé, brillant médecin, meurt, contaminé par un patient qu’il soignait. Karol avait également eu une sœur, morte née mais qui a toujours été considérée comme faisant partie de la famille. Il reste donc seul avec son père, il n’a pas beaucoup de cousins et grandit seul. Sa famille, ce sont ses copains. Il va transposer le sentiment que l’on nourrit à l’égard de ses plus proches sur la famille église : cela va devenir naturel pour lui de faire ce transfert. A l’école, il est très bon. Il est brillant en sciences et en lettres et il va acquérir cette capacité d’apprendre les langues étrangères, ce qui lui permettra de lire et de méditer les textes dans le texte original. Il est passionné de théâtre parce que cela lui permet de s’exprimer non seulement avec son intelligence mais aussi avec son corps. Il cherche et comprend cette unicité à s’exprimer à travers le corps et l’intelligence. C’est une excellente occasion pour lui de parvenir à cette harmonie qu’il cherche depuis toujours. Il va s’engager dans le théâtre, à l’école Wadowice et plus particulièrement dans le théâtre rhapsodique créé par son professeur d’histoire. Dans le théâtre rhapsodique, l’expression corporelle est aussi importante que la parole. Il participe donc à différents ateliers de théâtre et joue des pièces grecques, françaises, polonaises etc.. L’une de ses partenaires était Halina Krolikiewicz, fille du directeur de l’école de Karol. Je l’ai rencontrée en Novembre à Cracovie : elle joue toujours au théâtre de Cracovie en un ‘’one man show ‘’ : une heure d’expression personnelle pour résumer sa vie et parler évidemment de Karol. Karol pensait à l’époque de ses 19ans, soit à être acteur, soit à exercer un métier semblable. Mais la guerre éclate, et lors de sa fuite lors de la débacle avec son père, ce dernier se perd ; pour Karol, c’est une immense angoisse et sa première expérience dans la lutte ; il est forcé de réagir rapidement : cette disparition de son père sera sa plus grande angoisse depuis la mort de sa mère et de son frère. Cette angoisse durera plusieurs jours jusqu’à ce qu’il retrouve son père mais il sera marqué à jamais par cette expérience. C’est probablement à partir de là que va naitre en lui ce désir dans la recherche de l’unicité de la personne qu’il était et d’accomplir sa vie dans les conditions les meilleures possibles.
Il travaillera pour gagner sa vie dans les usines chimiques de Cracovie, et pour échapper à la menace des travaux forcés ; l’université est alors fermée alors qu’il avait commencé ses études de philologie et littérature. Il réfléchit à la possibilité de servir par la parole d’une manière encore plus profonde que ce qu’il aurait pu donner comme acteur et il dit à ses camarades qu’il va entrer au séminaire et qu’il a décidé de devenir prêtre. Cette décision a été appuyée sur une autre expérience : en 1939, le Jeudi saint, il est à la Cathédrale et assiste au lavement des pieds : il en sort bouleversé et c’est à ce moment là qu’il prend la décision à l’intérieur de lui-même, de servir de la sorte.
En 1942, il entre au séminaire de façon toujours clandestine grâce à l’Archevêque Sapieha qui organise le séminaire dans son évêché. Il transforme son salon en classes d’études et en dortoirs. Karol fait partie de ces jeunes qui suivent pendant 2 ou 3 ans les cours pour devenir prêtre. Le gouverneur responsable de la gestion des camps de concentration d’Auswitz a invité le cardinal Sapieha pour tâter le terrain et échanger, mais la rencontre tourne court…il voulait savoir jusqu’où on pouvait aller pour imposer ses lois de ségrégation, de développement de la terre par la peur, et l’autre dans la résistance à tout cela. Karol, dans ce séminaire, à côté des autres jeunes est frappé par la démarche de l’archevêque qui, tous les soirs, passe dans les dortoirs pour s’enquérir de chacun, et ensuite passe de longues heures de prière à la chapelle. Karol en restera marqué à vie. Une ouverture sur le monde lui est donnée lorsque l’armée soviétique arrive pour libérer Cracovie. Tous les bâtiments sont bombardés, mais la décision de faire sauter la ville a été abandonnée. Le séminaire est pilonné ; ils essaient de résister à l’intérieur et les soldats de l’armée rouge arrivent et font du séminaire leur quartier général ; Karol rencontre un soldat soviétique qui parle polonais et qui n’a jamais entendu parler de Dieu, et parle avec lui de longues heures durant. Pour lui, c’est une ouverture au monde athée, au monde communiste sans Dieu dans son expression la plus terrifiante mais la plus profonde, c’est à dire avec comme clé et comme mort d’ordre extirper toute trace de la présence de Dieu.
La guerre se termine le 1er novembre ; le cardinal Sapieha qui avait déjà repéré Karol demande au prêtre de la paroisse si Karol pourrait être un bon prêtre. Le prêtre de la paroisse lui répond que non… Karol étudie la métaphysique : pour lui, c’est très difficile, mais néanmoins, il s’accroche et après plusieurs semaines d’efforts intellectuels intenses, il parvient à en comprendre les bases et les différents principes : tout s’éclaire pour lui : ce seront des formatages de bases de sa pensée qui sont ainsi posés.
Quand il partira à Rome faire des études, il approfondira ses connaissances et travaillera son mémoire sur St Jean de la Croix, avec un grand dominicain français : il cherche la possibilité de décrire théologiquement l’expérience mystique. Pour être au plus près des textes, il apprend l’espagnol. Entre temps, il entre en désaccord avec son maître dont il se sépare. Son maitre prétend que tout ce qui est de l’ordre mystique, expérience spirituelle, sont une sorte d’habillage émotionnel, comme expression d’une spiritualité que l’on peut ranger dans le domaine très personnel et qu’il n’y a rien à dire là-dessus. Karol cherche à approfondir son intuition et suivant les courants philosophiques de l’époque de Kant et Heidegger, il va se tourner vers la phénoménologie, c’est-à-dire prendre en compte la vision personnelle, la sensibilité personnelle des choses et les décrire de la sorte.
Il va étudier Max Scheler et s’interroger sur l’éthique humaine.
De retour à Cracovie, il fera 3 années de vicariat dans des paroisses différentes. En 1953 il soutiendra sa thèse. Ce récit concis de la jeunesse de Karol Wojtyla permet de montrer les deux grands points d’appui de son portrait spirituel :
L’expérience spirituelle d’un côté, c’est-à-dire sa vie de foi, marquée tout au long de son existence par quelque chose de spirituel, quelque chose qui le dépassait, et qui se manifestait, tout d’abord sous forme de la parole théâtrale et qui peu à peu prenait la forme d’une parole de vie.
De l’autre côté, il va rester toujours très attentif à l’être humain quelqu’il soit. Il va se référer sans cesse à l’existence humaine et il va dans tout son travail de prêtre, de philosophe, de théologien, d’exégèse insister sur ce qui est devenu son leitmotiv : le respect de la personne humaine, telle qu’elle est et non pas seulement telle que Dieu la veut. Il désire que chacun devienne tel que Dieu le veut, mais en même temps avec le respect de l’endroit où l’autre se trouve. Il ne veut pas passer outre la manière dont l’autre se présente, sous prétexte de lui dire que Dieu le veut autre. C’est cela la grande richesse de Jean Paul II : concilier ces deux impératifs dans toutes ses actions pastorales et dans toutes ses interventions écrites ou orales, y compris sous les aspects symboliques.
Dans sa première encyclique, Redemptor hominis,il va dire que le Christ est présent dans chacun de nous . D’autre part il va dire : il faut rencontrer chacun qu’on a en soi tel qu’il est pour pouvoir lui présenter le Christ qui est déjà en l’autre.
Surtout ne pas tricher, d’abord rejoindre la personne, et en faisant un petit bout de chemin avec, lui permettre dans sa propre liberté intérieure de découvrir qu’il avait déjà le Christ en lui : la route de l’Eglise c’est chaque homme, tout homme qu’elle rencontre au travers de ses activités pastorales et sacramentelles mais également dans ses activités caritatives et missionnaires. Cela suppose un infini respect de l’autre tel qu’il est, et un impératif de porter le Christ dans le dialogue. L’encyclique de Paul VI Ecclesiam suam de 1964 lui permettra de formuler de façon fondée ce qu’il a pressenti :
La nécessité de porter le Christ à tout homme, et être capable d’entrer dans la rencontre véritable avec tout autre semblable, différent, partageant ou non les mêmes idées mais vis-à-vis duquel il y a toujours du respect. C’est ce qu’il dira d’ailleurs dans les débats qui tournent court : même si nous n’avons plus de matière à échanger, il en reste toujours l’ homme.
Très fidèle en amitié et accompagnateur spirituel, l’une de ses accompagnée raconte qu’il lui donnait chaque semaine la base d’une méditation, sous forme de citation et lorsqu’il ne pouvait la rencontrer, il lui écrivait. Elle a révélé ce qu’il lui a écrit un jour : ‘’ le chemin de chacun de nous vers Dieu, ce chemin est uniquement Notre Seigneur Jésus Christ.’’
Elle confie qu’elle lui a répondu que grâce à cela elle a compris que ce lien irrévocable entre Dieu et l’homme existe depuis toujours.
Notes prises par Florence Marquerie