2011/12/11 - Conférence-débat - L’Amour et l’Emprise

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Le père Rémy rappelle la ligne principale de ces conférences, à savoir la rencontre entre la dimension spirituelle et l’épaisseur psychologique de notre être humain. Comment se fait le lien entre les deux, quels sont les points de passage, les enrichissements ? Les dernières conférences avaient traité de la famille.


Cette année, nous revenons sur le même terrain, avec une autre approche pour ausculter de plus près certains aspects de ce qui est au coeur de l’être humain, (sentiments, expressions, pensées) avec aujourd’hui un développement par rapport à l’amour et l’emprise.


Jean Christophe Dardenne : Cette conférence ne doit surtout pas être clivée entre amour et emprise. On est tous capables d’amour et d’emprise : c’est une nuance importante à avoir en tête.


Je voudrais situer le débat par rapport l’étymologie du mot exister : exister provient du latin ex –istere – ne pas être à la place fixée. Sistere est le mot qu’employaient les romains pour signifier que la divinité était placée sur son autel ; soit elle est placée, soit elle se déplace en dehors de sa place habituelle. Cette etymologie renseigne beaucoup sur la conférence, telle que je veux l’animer aujourd’hui. Effectivement exister, cela veut dire oser se déplacer, ne pas être forcément à une place de divinité. La voie de l’amour, c’est celle-là, choisir de se laisser porter par le ressenti, être dans le lâcher prise, se laisser porter, non seulement par son intellect, mais surtout par son corps, être sensible aux sentiments, à l’autre, à ses désirs, à ses manques, à la nature ; finalement, exister, c’est être sensible à l’âme du monde, ressentir quelque chose qui relie… une harmonie, une pulsation qui fait que les êtres sont reliés. Cette voie, c’est celle du désir : ce qui permet de se laisser guider par ce sentiment indéfinissable qui nous touche et qui fait que l’on est capable de répondre à l’appel de l’autre. En terme psychanalytique, on appelle cela le désir mais c’est tout simplement l’empathie.


RK : vous constatez qu’il y a un désir d’harmonie, mais l’harmonie de quoi et au nom de quoi ?


JCD : Dans l’amour, ce qui nous tient c’est ce désir d’être relié, désir plus ou moins puissant, cette chose qui fait que l’être humain a le désir d’être relié à ce qui l’entoure.


RK : côté spirituel : vous avez dit qu’exister c’est être placé. la divinité est placée. Quand la divinité se déplace, c’est ex-sistere, mais qu’est-ce qu’il se passe d’un point de vue psychologique puisque cela perturbe ?


JCD : le fait d’être relié réellement à l’autre, se laisser porter, déporter par la relation, on perd sa place de sujet : on n’est plus tout à fait soi-même ; on se laisse déplacer d’un point de vue symbolique, émotionnel et intellectuel, dans une position qui n’est plus tout à fait soi-même.


RK : peut on envisager que l’on ne soit pas relié ? une divinité sur son socle a pour fonction. de relier.


JCD : l’être humain a tendance à se prendre pour une divinité…


Un intervenant : Est-ce que le fait d’être relié à un être a un caractère exclusif ?


JCD : le seul moment de la vie où nous voyons un investissement massif, c’est lors de l’accouchement, le lien maman/bébé : c’est un lien exclusif. Nos investissements sont divers et variés : ils nous permettent de nous décentrer. Une vraie rencontre à l’autre nous fait renaître un peu différemment, on n’est plus tout à fait le même après la rencontre.


RK : alors, si je suis obligé d’être relié (non pas de mon propre gré) à ce moment là, cela veut dire que je suis déstabilisé parce que j’avais déjà acquis un sentiment d’harmonie de moi quand j’étais dans l’état fusionnel. Comment se joue alors le rapport à l’harmonie ?


JCD : cela va plus loin : on pense être adulte mais être adulte, ce n’est pas un état figé, statique. Tant que l’homme est vivant, il reste un adolescent : il est perturbable toujours par l’autre, à souhait. Ce statut d’adulte, c’est très particulier, parce que cela veut dire que c’est un état statique.


RK : en lisant une revue de scouts, j’ai vu un article « Relations parents/jeunes adultes : de nouveaux liens ». Les sociologues constatent que la véritable rupture à cet à l’âge là, c’est le moment où l’on quitte la maison de façon physique


JCD : c’est un moment où le sujet est très fragile ; le problème, c’est la quantité d’investissement. Les adolescents laissent plus dans cette quête d’autonomie qu’auparavant. La transition est importante, ils lâchent beaucoup de situations sécurisantes…


RK : il faut qu’ils soient de véritables aventuriers guerriers pour entrer dans le monde des adultes.


JCD : je pense que si on revient à l’amour, ce qui nous tient, c’est un appel irrésistible vers un ailleurs auquel nous croyons, sans pour autant nous le représenter. C’est vraiment la fonction de l’amour et du désir, c'est-à-dire, justement parce que ce n’est pas réel et que l’on ne peut pas se le représenter dans la réalité : c’est ce qui nous anime. Pour être toujours en mouvement et portés vers l’espoir, c’est effectivement que ce lieu ne soit pas représentable : un espace hors champ de la représentation.


RK : j’ai déjà perçu cela quand vous avez parlé de l’harmonie de soi. Il y a quelque chose qui appelle à l’omniprésence du divin et en même temps l’interdit de pouvoir l’identifier quelque part.


JCD : le moteur le plus puissant du désir, c’est que ce désir demeure un objet inatteignable.


Un intervenant : les liens que l’on crée ont un caractère conditionnel : cela appelle une réponse : il y a une empathie vis-à-vis de quelqu’un et intuitivement, on a le sentiment qu’il doit y avoir un retour, donc ce serait un lien sous condition.


JCD : non, la réelle empathie, c’est cette capacité que l’on a à se mettre à l’écoute de l’autre, globalement et pouvoir faire siens les sentiments de l’autre, en percevoir quelque chose. C’est ce lien purement humain qui fait la force des relations humaines. L’intérêt pour l’autre. Mais cet intérêt peut aussi être malsain.


RK : quand vous parlez de la dimension divine (on ne peut pas se la représenter) c’est pour dire que là on touche à quelque chose qui est mystère, et sur quoi, on n’a pas le droit d’exercer une sorte d’emprise, car dans toute la représentation, on est déjà dans l’emprise.


JCD : par rapport à l’image, cela va facilement vers la fascination, l’emprise…Je parlerai plutôt de musique.


RK : on va mettre les images en musique…


JCD : on se trompe tout le temps quant à l’objet de notre désir, mais en se trompant, on avance : cela nous a mis en mouvement, sinon on reste à sa place. C’est une autre façon de vivre que de rester sans arrêt à sa place.


Vouloir que l’autre devienne adulte, ce n’est pas toujours bienveillant. Tu es un être humain, c’est bienveillant, mais tu es adulte, c’est tu es à ta place, tu ne bouges plus… ce n’est pas bienveillant.


RK : c’est encore une projection.


JCD : être adulte, c’est défini comme un statut (marital, de métier) quelque chose qui ne bouge plus. A chaque fois que l’on traverse une crise de vie, on revit quelque chose de la crise d’adolescence. Il faut faire le deuil de certaines choses pour s’en réapproprier d’autres. C’est à ce moment là qu’il faut être accompagné : ce sont des moments toujours délicats.


C’est ma fonction d’accompagner les gens dans les moments de crise et faire qu’ils gèrent au mieux ces moments là.


RK : peut on dire (avec toutes les précautions d’usage) que la différence entre l’enfant et l’adulte, c’est que l’ enfant apprend à être responsable de lui-même, alors que l’adulte apprend à être responsable en prime, pas seulement de lui-même mais aussi des autres.


JCD : cela pourrait être une définition. La question du statut de la personne mature, quelle va être la conséquence de son implication dans la société et quelles sont les conséquences de ses actes. L’enfant n’a pas cette question là.


RK : cela va dire quand même une sortie de soi au moment de l’adolescence. Cela m’intéresse ce que vous dites au sujet des crises, car la crise ‘’crisis’’en grec, c’est la capacité de jugement de séparation et par extension l’on peut appliquer cela à l’adolescence qui est à la fois marqué par le jugement et la fragilité qui en découle : je suis en situation vulnérable…cette situation de point de passage est le lieu où l’on peut identifier la vie, et donc la vie spirituelle doit pouvoir être identifiée là dedans.


JCD : les moments de crise sont toujours des moments très féconds ou peuvent l’être, ou pourraient l’être… d’un point de vue psy, sauf si la personne qui traverse une crise est laissée dans une extrême solitude.


RK : on revient à l’isolement. Et c’est ce qu’il faut éviter.


Est-ce que l’on peut être en vie en étant dans le ‘’sistere’’ c'est-à-dire en étant juste là ?


JCD : la voie de l’emprise, justement, c’est de rester, être posé à sa place. L’intérêt, c’est un gain narcissique énorme, on capte l’attention de tout le monde et le bénéfice est pour l’ego.


Etre à sa place, être dans l’emprise, c’est un bénéfice pour l’ego. Rester à sa place, c’est moins risqué parce qu’on est dans un monde de l’ordre, du connu, du maitrisable, de l’intellectualisable, de quelque chose où toutes les relations à l’autre sont objectivables, c'est-à-dire ce monde là est hautement sécurisant parce que tout est attendu, et de cette place où je ne bouge pas, je peux effectivement prévoir, disséquer tout le comportement des êtres qui m’entourent.


RK : est ce que les psys ne risquent pas d’enfermer un peu là dedans ?


JCD : les psys enferment bien là dedans, c’est connu. Par rapport à mon métier, j’ai toujours trouvé que l’évolution scientiste du monde était préjudiciable à l’être humain. Cette voie de la science, tant qu’elle s’applique à des objets, cela a un intérêt mais dès qu’elle s’applique à l’être humain, la science a un effet morcelant. On ne veut rien savoir du vécu, du ressenti de la personne. Or la science psychiatrique plus elle est fondée sur une étude scientifique de l’être humain, plus elle est aliénante, plus elle renvoie l’autre à un état d’objet et non de sujet. C’est une évolution détestable. Vouloir maitriser techniquement la psychologie humaine, cela fait le lit des dictatures, ou c’est un risque de voir l’autre comme génétiquement malade (on ne peut rien faire pour lui), soit se contenter de lui donner des médicaments, pour qu’il ait un comportement à peu près normal, mais cela ne prend pas en compte la dimension de la souffrance, de l’angoisse, de la dépression et de la solitude du sujet.


Une approche purement technique de la souffrance humaine est aliénante. On ne peut pas donner des médicaments sans une relation à l’autre, et entendre sa souffrance
RK : Il faudrait rajouter que l’approche purement technique et exclusive de la souffrance est aliénante. L’être humain est un être irrationnel qui se sert de la rationalité pour se laisser appréhender dans ce qu’il n’est pas.


JCD : le désir, c’est le règne de l’irrationnel. Parfois, il faut baliser (débat entre raison et passion) mais le schéma de la raison pure est aussi dangereux. En tant que psychiatre je remarque que la société devient de plus en plus insensible à la souffrance et plus particulièrement à la souffrance des enfants : les solutions sont de plus en plus techniques, et il est plus simple de donner des médicaments…


Il n’y a pas de véritable unité parmi les psychiatres : chacun son école, sa chapelle


Etre à l’écoute de la souffrance de l’autre, cela veut dire en soi être capable d’en porter une partie. Le médecin généraliste prescrit plus d’antidépresseurs qu’un psychiatre.


Un intervenant : vous semblez récuser une méthode abusivement scientifique, mais quelque soit le processus employé, il faut bien utiliser des moyens rationnels, thérapeutiques, constituer quelque chose d’objectivement scientifique


JCD : on est dans une discipline qui relève de l’art, de l’aide à l’autre et de la science, mais ce n’est pas une discipline scientifique pure ; je revendique de ne pas être un scientifique, je me sers de conceptions scientifiques dans certains cas pour mettre en pratique une bonne thérapie mais pas exclusivement. Il y a d’abord une façon préalable d’être en relation à l’autre.


Les généralistes envoient peu chez les psychiatres. Même pour la psychiatrie de l’enfant où cela est moins connoté, beaucoup de familles ont du mal à passer le seuil du pédopsychiatre, et pourtant, cela ne renvoie pas à la grande folie. Cela reste compliqué.


RK : si je me place en tant que généraliste du spirituel, cela m’arrive d’envoyer les gens chez le psy, mais c’est une démarche très délicate, et en même temps, cela semble avéré, criant. Cela peut arriver que nous prêtres, on propose une démarche spécialisée. A l’inverse je reçois des gens qui ont fait des années d’analyse et qui sont renvoyés chez moi par le psy qui leur dit : je ne peux plus rien pour vous, je sais que vous avez une dimension spirituelle reconnue, allez voir quelqu’un de votre communauté. Le spirituel est extrêmement lié au psychologique.


JCD : Je prends en compte les 2 aspects. Cela me rassure de savoir qu’une personne qui est en grande difficulté fait partie d’une communauté, je suis moins inquiet que si cette personne est isolée : dans sa communauté la personne a un soutien.


Un intervenant : mais si c’est une secte….


JCD : les sectes font leurs choux gras des gens en difficulté. La scientologie recrute dans la rue avec des questionnaires psychologiques et elle cherche les gens les plus fragiles pour les faire tomber dans la secte.


RK : on est dans l’emprise.


JCD : cela va très loin l’esprit d’emprise : c’est cet esprit calculateur, observateur qui cherche à percer le mystère de la matière, du corps, de la pensée de l’autre, qui cherche à disséquer, à observer, et il est important pour celui qui est dans cet esprit de rester insensible, de ne pas se laisser aller à aucune influence et à aucun état d’âme, bref d’oublier non seulement ses sentiments mais aussi son corps propre. C’est un état un peu particulier : vouloir pousser l’emprise jusqu’au bout, cela amène à nier toute vie en soi.


RK : insensible… mais comment l’être quand on a le coeur sensible ?


JCD : je vois des gens qui arrivent dans cet état là. Cela fait un retentissement sur la vie relationnelle, parce que tous les sens sont amoindris, affectés. Ce n’est pas que les sentiments, c’est une perception du corps propre qui n’est plus là. Ces gens là sont pris dans une carapace tellement forte qu’il y a quelque chose de déshumanisé. Un être humain peut parvenir à fonctionner comme une machine.


Dans le phénomène de l’emprise, ils sont deux : le bourreau et la victime


RK : j’ai cru comprendre que celui qui exerce l’emprise sur un sujet dit faible (incapable d’une auto défense), si quelqu’un comme cela exerce une emprise sur l’autre, l’autre doit comme réaction salutrice rester insensible.


JCD : c’est plus complexe. Dans ce phénomène d’emprise, malheureusement, c’est que la victime comme le bourreau y participe.


RK : cela va loin..


JCD : C’est s’anesthésier que d’être dans l’emprise, donc c’est confortable.


RK : c’est grave si on dit que le bourreau et la victime sont complices, à quel moment de la relation (par exemple la relation fusionnelle mère/enfant) , si l’état fusionnel n’est pas arrêté, l’enfant devenant ado prend conscience qu’il devient complice ?. Pour le bourreau qu’est-ce que cela veut dire bourreau dans ce cas, puisqu’elle agit par amour. Certes, elle est dans une emprise, elle l’exerce totalement sur l’affect, la liberté : c’est un problème et un autre problème, à partir de quel moment l’enfant qui devient ado, tout en prenant dans ce processus psychologique, de l’autonomie, prend conscience qu’il devient complice ?


Je pense à quelqu’un qui à un certain âge a dit qu’il s’était rendu compte que cela ne pouvait plus durer, et ce de façon extrêmement consciente.


D’autres types de réaction dans l’adolescence où l’ado essaie de se libérer de cette emprise en se soumettant à d’autres emprises pas moins destructrices, tout au moins en ayant libéré quelque chose de lui-même dans cette relation première


(ex . les jeunes qui tombent dans les sectes)


Je connais des gens qui ont gardé à l’intérieur d’eux-mêmes comme un espace possible de révolte juste et qui à 15ans se sont enfuis d’une secte.


Ce qui m’interroge, ce sont les tissus psychologiques marqués par une emprise, et qui se laissent imprégner par quelque chose qui est effectivement de l’ordre de l’indéfinissable que l’on appelle spirituel, cet appel à l’harmonie. L’être humain aspire à cela. Comment certains posent le pari du tout pour tout.


PM :Pour pouvoir avoir un moi de plus en plus fort, on s’appuie sur la communauté, c'est-à-dire sur ce que l’on est pour les autres et on a le choix : se faire protéger par l’ensemble ou s’affirmer seul et libre. Le problème est la liberté : on est tous libres et pas libres. Les sectes parviennent tellement à nous manipuler que la liberté n’existe plus (même sur le plan politique, cela existe ex.le nazisme) la question est de savoir comment on organise son moi au milieu d’une communauté à laquelle on appartient ;
Revenant sur la question des pulsions :


JCD : certaines pulsions sont extrêmement destructrices. Devenir adulte, c’est cette maitrise de ses pulsions. On commence à aller mieux quand on s’en libère.


Dans le jeu de l’emprise, la pulsion est violente et séductrice : c’est un pouvoir sur l’autre et la victime a un pouvoir sur le bourreau. Dans le nazisme par exemple, c’est la pulsion de mort qui a gouverné pendant 5 ans : il y a beaucoup de jouissance là dedans. Dans une famille qui vit sous le règne de l’emprise, les conventions sont stéréotypées, étroites, mais les pulsions qui s’y déchainent sont d’une intensité incroyable ; donc cela tient parce que c’est animé même si c’est destructeur.


RK : alors le lâcher prise dans tout cela ? comment en sortir ?


JCD : en tant que médecin, je dirai qu’il n’y a pas d’autre issue que par le corps : s’aimer soi-même, prendre soin de soi, de son corps, s’ouvrir à tout… au plaisir. Ce sont les choses de base qui nous font renaître. Si l’on va chercher du côté de la pulsion, on risque de trouver la mort.


RK : j’ai ressenti cela à la messe d’hier soir avec le concours de crèches : on a favorisé à travers cela la pulsion de la vie, les réactions positives des participants et de ceux qui étaient là en témoins. ‘’on se sent chez nous’’, c’est sistere. On a besoin de se retrouver à un endroit qui ne bouge pas, et le spirituel nous enracine dans quelque chose qui semble ne pas bouger au sens où l’on sait que c’est toujours la même référence. La divinité est capable d’intégrer au moyen de la spiritualité bienveillante et éveillée, la vie de ceux qui ont envie de la vie.


Comment, en faisant un travail de libération qui n’est jamais abouti du point de vue spirituel, comment dans cette situation exercer une responsabilité spirituelle en sachant la composition de ce tissu psychologique, tel qu’il est et ce qu’il est ? Cela repose la question, du rapport à une plénitude plus grande que ce que l’on peut percevoir à première vue.


La relation entre le psy et le spi est toujours aussi fragile et importante à la fois que la sortie de l’enfance pour aboutir à quelque chose que l’on appelle adulte, au sens générique du mot.


JCD : ce qui est important pour qu’un être reste vivant, c’est qu’il soit dans la position du marcheur, qu’il ne reste pas tétanisé, statufié. Je pense que ce chemin est possible si on sait qu’il y a un lieu ‘’secure’’ où effectivement la communauté nous accueille. On peut se mettre en chemin, explorer des voies inhabituelles, mais il faut, et c’est impératif garantir la sécurité pour la communauté.


RK : c’est pour cela que nous tenons à ce que l’église soit ouverte : y entre qui veut, toute la journée, même si nous rencontrons de gros problèmes. Cela nous repose la question de la fragilité de cet impératif mais cela fait partie du pari.


La communauté protège des projections aberrantes.


JCD : cela crée une sécurité, cela permet de créer un ensemble de représentations communes. Sinon l’esprit humain est capable des pires aberrations. C’est un lieu qui permet que le bien commun existe et qui dépasse nos propres fantasmes, sinon c’est dangereux.


RK : C’est important cette question là, car dans tous les jeux symboliques déployés lors de n’importe quelle célébration (quelque soit la religion) et c’est peut être là qu’il y a une différence entre une religion ouverte au monde et une secte avec son principe d’isolement, la communauté protège d’une représentation aberrante parce que ses représentations lui sont données de façon objective : le rituel, c’est cela.


On ne se l’invente pas, on l’accueille tel qu’il ou nous est donné et il fonctionne pour les autres, pas seulement pour nous. Sa première fonction est de nous préserver du danger d’entrer dans une représentation aberrante. Il est vraiment la base de tout rassemblement religieux. C’est une référence au bien commun. On en a pris conscience au 19ème siècle seulement, alors que la dimension religieuse renvoyait au rapport au ciel. Mais les deux se rejoignent aujourd’hui. Cette résonnance mutuelle est possible parce que ce qui est aberrant est écarté aussi bien côté corps que côté esprit, et il y a une auto régulation qui se fait dans la mesure où la vitalité est régie par le principe d’ouverture.


JCD : la question du rituel me fait réfléchir, car beaucoup d’enfants sont parasités par les rituels : la fonction du rituel, c’est éviter d’être débordé par les pulsions et par un imaginaire persécutant. C’est créer une barrière par rapport à l’émergence d’un imaginaire fou ou de pulsions folles : les enfants le mettent en place eux-mêmes.


RK : cela veut dire qu’ils s’auto protègent, mais est-ce suffisant ou est-ce simplement un déplacement du danger ?


PM : le rituel, c’est une répétition ; il est rassurant parce que c’est un déplacement dans le temps


RK : un rituel, c’est toujours la même chose : ce qui fait la nouveauté, c’est la vie d’aujourd’hui. Sans cela, le rituel inhibe, enferme et neutralise la transcendance, parce qu’il sert des personnes. On se sert soi-même avec les moyens que l’on se donne, c'est-à-dire, je suis un être autonome et je déploie les artifices pour pouvoir perdurer cette illusion.


Cela veut dire que le danger de l’emprise est partout, dans toutes les dimensions de l’être que nous sommes, aussi bien singulier que collectif, communautaire


JCD : la différence entre un rite qui garde du sens (réel et symbolique étant étroitement liés) c'est-à-dire dans l’actuel, c’est quelque chose qui se répète, mais dans l’actuel l’officiant y met toujours le même sens que la veille ou le lendemain. Si c’est quelque chose de désincarné, de stéréotypé, en tant que psy, je dirai qu’à ce moment là cela n’a plus du tout la même valeur, tout dépend de l’intention qu’y met l’officiant.


RK : dans mon expérience de prêtre, c’est tous les jours que je dis les mêmes paroles… je peux certains jours, par fatigue ou préoccupation, brancher le pilote automatique, alors je m’arrête net : je réagis tous de suite, mais cela m’est personnel. Ce que vous dites résonne donc en moi : je comprends parfaitement ; c’est la même chose, et en même temps c’est ma vie d’aujourd’hui, et non pas celle d’hier ou de demain qui est en jeu.


JCD : il m’arrive aussi parfois d’écouter trop vite, de façon automatique : il est temps de s’arrêter sinon à quoi cela sert ?


RK : le rituel permet de nourrir le réel dans le mesure où je mets de la vie d’aujourd’hui dans le rituel. Ex : l’exposition des crèches était l’occasion de ramener de la vie au présent. Et c’est le présent de la vie qui me préserve de l’ennui. Si je m’ennuie dans le présent de ma vie je m’ennuie à plus forte raison dans le rituel


Il y a un lâcher prise pour entrer dans un rituel que l’on n’a pas inventé et qui nous a été imposé.


JCD : Le rapport au manque d’amour : les lieux ‘’secure’’ sont nécessaires. Les personnes en grave manque d’amour, en carence sont vulnérables et sont capables de se laisser influencer par n’importe qui : elles ne sont plus libres de leurs choix.


RK : Cette carence peut permettre de détecter les zones de notre liberté dans notre manière de réagir.


Le rite permet de faire le lien entre présent, passé et avenir. On découvre dans notre vie de prêtre qu’il y a des choses que l’on fait plus volontiers que d’autres. Cela résonne par rapport à notre psychisme, à nos richesses ; on est devant une liberté…


Mais il n’y a pas de situations pastorales qui ne soient pas pastoralement recevables ; en tant que prêtre je me donne l’obligation d’accueillir tout ce qui arrive autour de moi, comme demandes, sollicitations etc.. Qu’est-ce que j’en fais après, c’est une autre histoire. Je ne peux pas d’emblée dire qu’il y a des choses qui ne m’intéressent pas ou qui ne sont pas de mon ressort ; je ne peux pas dire cela mais cela ne veut pas dire non plus que je suis dans la liberté absolue face à ces situations.,


Dans ce travail entre amour et emprise, dans ce va et vient entre les deux, puisque c’est le lot de l’être humain, aussi bien dans sa dimension psychologique que dans sa dimension spirituelle, le lâcher prise est non seulement une possibilité pour exister mais c’est une invitation à exister. Et tout cela n’est possible qu’à cause ou grâce à l’ascèse : cette manière d’être pour être à l’autre et donc à soi, c’est à partir de l’extérieur que l’on comprend ce que l’on a , et c’est à partir de ce que l’on a reçu de l’extérieur qu’on se comprend dans la relation à l’extérieur et cette ascèse est comme une invitation heureuse à vivre ensemble y compris pour écouter et accompagner du point de vue non seulement psychologique mais aussi spirituel.