2007/11/25 - Conférence-débat - Mère Teresa, itinéraire d'une vie spirituelle
Clair obscur entre la grande Lumière et une profonde nuit, l'itinéraire de toute vie spirituelle
- à partir du recueil de lettres de Mère Teresa de Calcutta *
Le Père Rémy Kurowski a réuni autour d’une table ronde Madame Elyane Casalonga, théologienne spécialiste de la vie spirituelle et de saint Jean de la Croix, un paroissien, Monsieur Fabrice Morrachini, et Philippe Casassus qui animera le débat et introduit la conference.
Philippe Casassu nous rappelle que ce recueil de lettres de Mère Teresa a fait scandale. Mère Teresa avait explicitement demandé dans tous ses couriers qu’ils fussent détruits. En 1979, Elle écrit par exemple à son confesseur, “Jésus a un trés grand amour pour vous, mais pour moi, le silence et le vide sont si importants que je regarde et ne vois pas, que j’écoute et que je n’entends pas”. Elle va même jusqu’à écrire que son sourire, mondialement connu, était “un masque”. Elle confiera plus tard qu’elle a trouvé une certaine sérénité en “aimant cette obscurité”. Elle la rapprochait, du plus profond de sa solitude et de l’angoisse du Christ pendant sa passion. Elle accepte la volonté de Dieu. Pour elle, si un jour, elle deviens une sainte, elle sera sûrement celle des Ténèbres, et sera continuellement absente du Paradis pour éclairer la lumière de ceux qui sont dans l’obscurité de la terre. Mère Teresa n’a jamais perdu la foi, le propre de la foi n’est-il pas de croire sans voir, sans ressentir ? D’autres saints ont été confrontés au doute comme Saint Jean de la Croix, Saint Thérèse d’Avila et Thérèse de l’enfant Jésus.
Le Père Rémy Kurowski fait un bref résumé de la vie de Mère Teresa*. Elle est née en 1910 en Macédoine. Elle est devenue sœur de la congrégation de Lorette à Dublin en 1928, d’où elle fut envoyée très rapidement en Inde pour son noviciat à Darjeeling. Entre 1937 et 1948, période importante, elle est au collège Hight School de Calcutta. Durant cette période, elle sort dans les rues à la rencontre des pauvres. En 1942, elle fait un vœux secret, elle promet à Dieu de faire tout ce qu’il voudra, de faire des choses belles dans le quotidien. En 1946, à la suite d’une rencontre mystique avec le Christ, elle fonde une nouvelle congrégation de sœurs missionnaires de la miséricorde, qui recevra très rapidement l’autorisation des autorités ecclésiastiques, en 1948. Elle reçoit en 1979, le prix Nobel de la paix. Vingt ans après, en 1997, elle décède et sera béatifiée en 2003.
Avant 1928, elle confie déjà la réalité des Ténèbres dans le sens d’une souffrance intérieure, d’une sécheresse spirituelle, d’une absence de Dieu dans sa vie, avant même son entrée au couvent. En 1937, elle écrit qu’elle voulait boire dans le calice jusqu’à la lie. Dans la révélation qu’elle a reçue, elle est appelée par Jésus à porter sa lumière aux pauvres. Après la fondation de sa congrégation, elle demande à Dieu de persévérer dans son appel. Elle se sent faible face à la tâche à laquelle elle s’est attelée. En 1956, elle s’exprime en ces termes : « je désire être rassasiée de la soif des âmes ». Le mot d’ordre de sa congrégation sont les paroles de Jésus sur la croix « J’ai soif… ». Dans cette même année, elle écrit au jésuite PICACHY « Notre Seigneur m’a forcée à vous parler pour que vous deveniez mon confesseur, vous connaissez maintenant les ténèbres en moi ». Lorsqu’elle pénétrait dans les coins obscurs des rues de Calcutta, elle sentait la présence de Dieu qui l’accompagnait. Elle désirait être l’apôtre de la joie et pourtant les Ténèbres n’ont jamais cessé de l’envahir. En 1958, elle a une période de répit, elle jubile de joie « c’est comme une oasis dans le désert », « si mes Ténèbres pouvaient être une lumière pour une seule âme ». Mère Teresa suit Jésus dans les Ténèbres. “J’accepte quoi que ce soit que vous me demandez”
Le Père Rémy Kurowski donne ensuite la parole à Elyane Casalonga en lui posant la question suivante : La vie spirituelle est-elle incompatible avec les Ténèbres ?
Madame Elyane Casalonge précise que ce sujet est intraitable en peu de temps, mais que la question du débat en amont de Mère Teresa est celle-ci : quelle est la place de la nuit spirituelle chrétienne. Qu’est ce que la nuit de la foi ? Avant d’entrer dans le sujet, elle nous cite deux textes
Mère Teresa : « Jésus a un amour tout particulier pour vous, pour moi; Le vide et le silence sont si importants que je regarde et ne vois pas, que j’écoute et n’entend pas. Où est ma foi, tout au fond de moi où il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité. J’appelle, je m’agrippe et il n’y a personne pour répondre. C’est en moi de terribles ténèbres. »
Madame Casalonga nous cite ensuite un texte de Thérèse de l’Enfant Jésus. Ce texte se trouve dans le manuscrit C Folio 6. C’est le seul lieu où elle parle de son expérience qui va durer 18 mois. Depuis le dimanche de Pâques 3 avril 1996 au 30 septembre 1997, date de sa mort, elle va vivre dans cet état là, mais personne ne le saura en dehors de la prieure à qui est adressé ce texte. Même ses sœurs l’ignorent. Dans son rapport d’altérité, elle restait, paix, sourire, consolation envers les autres. Voici ce qu’elle écrit : « Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses Ténèbres et que la pensée du ciel, si douce habituellement pour moi, ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment. Lorsque je veux me reposer et reposer mon cœur fatigué de ces Ténèbres, il me semble que les Ténèbres me disent, « Avance, avance, réjouis toi de la mort qui te donnera non ce que tu espères mais une nuit plus épaisse encore, la nuit du néant » 15 lignes plus loin, elle écrit encore : « Jésus sait que tout en n’ayant pas la jouissance de la foi, j’essaie au moins d’en avoir les œuvres. Je crois avoir fait en un an plus d’actes de foi que dans toute ma vie. La seule grâce que je désire c’est que ma vie soit brisée par l’Amour »
Elyane Casalonga nous lit ensuite un petit extrait de saint Jean de la Croix adressé aux amis de Jésus pour leur montrer que le mystère pascal du Christ n’est pas ailleurs que dans nos vies. Voici ce qu’il dit aux amis du Christ : « la clé est si peu connue de ceux qui s’estiment ses amis » et il décrit le Christ sur la croix : « Lorsqu’il s’écria « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez vous délaissé ? », ce délaissement fut le plus grand qu’il souffrit dans la partie sensitive dans sa vie, aussi donc fit-il dans ce délaissement le plus grand œuvre qu’il eut opéré dans toute sa vie par ses miracles et ses merveilles. Ce fut ce moment où il réconcilia et unit le genre humain par grâce avec Dieu. Ceux qui furent au moment et à l’instant que ce Seigneur se trouva le plus anéanti en tout, à savoir quant à l’estime des hommes, car le voyant mourir, ils s’en moquaient plutôt que d’en faire aucun cas. Quant à la nature, puisque mourant, Il s’anéantissait en elle et quant à la protection et la consolation spirituelle de son Père. Puisqu’en ce temps, Il l’abandonna, il sembla l’abandonner ainsi anéanti, comme réduit à rien. Ceci afin que l’homme vraiment spirituel entende le mystère de la porte et du chemin du Christ pour s’unir à Dieu. Qu’il sache que tant plus il sera anéanti à cause de Dieu, tant plus il s’unira à Dieu. L’union spirituelle sera faite entre l’âme et Dieu, ce qui est le plus haut état et le plus grand état où l’on puisse parvenir en cette vie. Il ne consiste pas dans les récréations, les jouissances et les sentiments spirituels mais en une vive mort de croix intérieure, spirituelle et sensitive et je dis cela sans m’entendre plus afin que ses amis sachent quel est le chemin car le Christ est si peu connu de ceux qui s’estiment ses amis ». Trois textes pour poser la question : « le christianisme est-il le lieu de la nuit ? Et qu’est ce que la nuit dans l’expérience chrétienne ? »
Il faut situer ce moment dans la foi, et l’expérience de foi. L’épreuve, la nuit est un moment historique comme pour le Christ qui est le Verbe éternel venu parmi les hommes pendant quelques années pour révéler les secrets du Père qui meurt et qui ressuscite. Dans la vie spirituelle, le statut de la nuit et de l’épreuve n’est pas un absolu. C’est un moment que l’on peut appeler le « moment pascal » de nos vies. Pourquoi et comment ? En amont, qu’est ce que la vie spirituelle chrétienne ? C’est forcément une expérience, jamais une théorie. Si Saint Jean de la Croix est le maître des spirituels, nom donné par le pape Pie XI, ce n’est pas parce qu’il a bâti une doctrine mais parce qu’il a parlé d’une expérience spirituelle qui n’est rien d’autre que notre vie de foi qui se déploie. Il nous faut vivre selon la parole de Dieu dans les médiations que l’Eglise nous donne, les sacrements, la vie de la communauté. Dans la vie intérieure, dans la crypte du cœur, il n’y a pas de vie spirituelle sans prière personnelle intimement liée à la prière communautaire, c’est à dire aux sacrements. L’expérience spirituelle est donc la vie chrétienne menée dans sa plus grande profondeur à l’écoute de la Parole de Dieu dans la découverte toujours nouvelle que Dieu, Père, Fils et Esprit habitent la crypte du cœur. Le christianisme n’est pas une religion d’extériorité, mais les rites, la pratique n’ont de sens qu’à partir de l’expérience spirituelle. Si notre amour vis à vis des autres ne vient pas de notre intériorité où Dieu est le maître de l’Amour, il n’y a pas de vie spirituelle, parce que la cohérence de l’Amour et de la foi sont dans les actes que l’on pose.
Depuis, le 3ème, 4ème siècle donc l’époque des Pères et plus encore avec le 5ème et 6ème siècle avec Denis de l’Aéropagite ! attestent que dans la voie de Dieu, il y a des moments historiques. Il y a dans la première partie, la décision libre de suivre le Christ qu’on appelle dans la tradition de l’Eglise, la voie ascétique. La tradition de l’Eglise la situe dans le moment où l’on décide de suivre le Christ, qu’on ait 8 ans, 40 ans, 50 ans. La dominante de nos actes est dans la libre décision de le suivre. Donc de pratiquer la justice, la vérité, l’Amour, d’ordonner notre vie morale et personnelle selon les critères de Dieu. Les pères de l’Eglise appellent ça la voie purgative ou la voie des commençants. C’est la première grande étape. Dans cette partie là, la voie spirituelle intérieure, c’est la décision de prier. Puisque je veux suivre le Christ, je veux aussi le rencontrer dans la prière et la confession. Nos actes deviennent lieu de conversion, mot clé de la vie spirituelle chrétienne qui n’a rien à voir avec la conversion d’une autre religion au christianisme, C’est une façon de se détourner de soi pour se tourner vers l’autre. La dominante de la prière est la méditation, à partir d’un texte, on prie Dieu avec des mots, il s’agit de l’oraison discursive pour habituer l’âme à se tourner vers Dieu.
La deuxième étape consiste à progresser. L’ascèse devient plus légère parce que nous avons goûter à la saveur de Dieu. Dans la voie spirituelle, Dieu donne à goûter son mystère pour avoir envie d’aller plus loin. Avant de supporter la faim et la marche au désert, Dieu donne la manne. Dans cette période des progressants, Dieu va demander à l’âme “repose toi, laisse toi faire parce que mon œuvre sera toujours plus grande et plus profonde que la tienne”. Dans cette étape, que tous les grands maîtres spirituels appellent la voie des progressants ou le passage à l’illumination parce dans l’oraison Dieu éclaire l’âme sur ce qu’il est lui-même et sur le néant de la personne. C’est le moment qui peut durer 10, 30 ans ou qui peut s’arrêter, tout dépend de la personne et de son union à Dieu. Dieu se donne à connaître selon l’intériorité, c’est à dire dans la voie première ascétique, nos sens, nos facultés doivent se recueillir. Le recueillement ne se fait pas tout seul, il y a un effort à faire de la personne. Quand Dieu a vu qu’on est capable et que l’on prend le temps de le chercher et de l’aimer, il se manifeste dans les facultés, dans l’intelligence. Il se donne à connaître. Les trois grandes facultés, la mémoire, l’intelligence et la volonté sont rattachées à trois vertus théologales, donc trois façons de Dieu de se donner. La foi donne à connaître Dieu qui se donne, mais Dieu instruit l’âme en donnant un savoir selon Dieu. La foi qui est à l’intérieur de nous, nous donne une lumière sur Dieu qui obscurcit l’intelligence. Le propre de l’œuvre de Dieu est de nous rendre aveugle, non pas par absence de lumière, mais par excès de lumière. Pour Saint Jean de la Croix, cette foi qui obscurcit la maîtrise des sens et des facultés et qui enlève cette impression de connaître ne l’enlève pas tout le temps, mais au moment où l’on prie. Il y a une saisie de Dieu à l’intérieur de l’âme qui obscurcit la façon humaine que nous avons de comprendre les choses, pour donner une façon divine de comprendre les choses. Le résultat, c’est qu’à la sortie de la prière, l’amour que l’on aura pour les autres sera plus profond et plus juste et le discernement des actes plus juste également. Si la façon d’instruire de Dieu le fond l’âme est de mettre dans la nuit par excès de lumière, la nuit de Mère Teresa n’est pas une absence de Dieu mais un excès de Dieu.
Le moment historique que nous vivons de l’illumination quand Dieu agit en nous s’appelle l’oraison de quiétude. La dominante est Dieu, il nous instruit mais nous ne savons pas comment. Nous sommes condamnés à l’humilité parce que nous ne comprenons pas. Le sommet de la compréhension du mystère de Dieu est de ne pas comprendre, de lâcher prise et de se laisser transformer par lui. Saint Thérèse d’Avila appelle ce moment l’oraison surnaturelle. A partir de ce moment là, c’est Dieu qui agit en nous. Cet état là est un grand passage, on peut nommer ce moment l’identification pascale de nos vies avec le Christ. Nous entrons dans une nuit non pas seulement de la foi mais de l’espérance au niveau de la mémoire. Nous ne prions plus Dieu à partir de ce que nous savons dans notre mémoire, parce que Dieu purifie l’espérance en empêchant dans la prière, de se satisfaire et de goûter la saveur de ce que l’on a acquis. Au niveau de l’Amour, Dieu suspend l’émotionnel, le sensitif, le goût affectif. On est plus portés par la facilité. L’Amour que Dieu nous donne, n’est pas selon nous mais selon lui. Cette étape là peut durer des dizaines d’années. C’est un temps où l’on ne sait pas selon le savoir humain, où l’on ne se souvient pas selon notre mémoire humaine et où l’on aime pas selon nos affects. Tous les sens et les affects sont saisis en Dieu pour être purifiés de tout ego pour que notre amour soit pur.
Le langage traditionnel de l’Eglise est devenu le langage de la mystique. Mysticos, muos en grec : c’est être en silence, être cloué devant le mystère et le sens théologique du mot mystique c’est tout simplement la profondeur de Dieu qui nous transforme pour devenir des hommes selon Dieu. C’est à partir de cette troisième catégorie, que saint Jean de la Croix appelle le temps des parfaits ou le temps de l’union d’amour. C’est un moment très rare. Très peu de chrétiens arrivent dans ce degré d’union là. Très peu consentent à vivre la nuit de l’avant.
La nuit est tout simplement non pas l’absence de Dieu mais l’effacement de nos capacités à saisir le mystère. La première définition de Denis l’Aéropagite : Dieu est saisi par l’âme comme étant la Ténèbre plus lumineuse que la lumière. Dieu est une Ténèbre lumineuse. Ce n’est pas une nuit ou une Ténèbre négative qui nous fait part de Dieu mais qui définit Dieu lui-même et qui nous fait part qu’on ne peut pas rencontrer l’ineffable sans perdre toutes nos catégories. La nuit et la lumière sont une dialectique mais pas à l’intérieur de l’expérience mystique. La nuit n’est que l’envers de la lumière. Jamais la nuit ou le mot Ténèbres ne contiennent du négatif. Ça n’est qu’une nuit par surabondance de Dieu. « Il faut beaucoup de foi pour supporter l’épreuve de la ténèbre » dit Mgr Follo en parlant de Mère Teresa. La plus grande souffrance au niveau des émotions et des sens est aussi la plus grande preuve d’amour vis à vis de Dieu. Il n’y a pas d’autre lieu que la croix et la résurrection du Christ. Il n’y a pas d’autre façon de vivre la vie spirituelle que d’être crucifié et de ressusciter avec le Christ.
Le Père Rémy Kurowski a repris la parole pour préciser que dans la première étape, l’homme fait des choses pour Dieu et c’est fondateur. Il s’agit d’une pédagogie de la formation. Ensuite il faut se laisser modeler par Dieu. Dans la troisième étape, il s’agit d’une mystique de silence qui devient un mystère où clair obscur ne sont pas dialectique intellectuelle mais qui se répandent comme deux facettes d’une même réalité.
Fabrice Morrachini, paroissien a ajouté que contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mystique n’est pas inactif, mais souvent au contraire très actif dans sa vie de foi et de prière. Il nous a cité deux textes « la perle » et un texte de Claudine Moine, dame de compagnie et lingère au 17ème siècle (voir Annexes). Celle-ci avait des connaissances très simples mais vivait dans un monde permanent de contemplation et son directeur spirituel lui a demandé d’écrire ce qu’elle ressentait. Son titre s’intitule « la couturière mystique ».
Elyane Casalonga, répondant aux questions de l’assemblée, nous parle d’Abraham qui est la figure de la foi. Le philosophe Kierkegaard dit de lui : “Abraham est parti sans savoir où il allait, dixit la Parole de Dieu c’est ce qui prouve qu’il était dans la bonne direction”. Ne pas savoir où l’on va, être voilé dans la connaissance, c’est la preuve qu’on est dans la foi. Marie ne sait pas ce qui va arriver demain. Elle sait que la puissance de Dieu la couvre. Il ne subsiste qu’une chose, c’est que la foi qui est une confiance illimitée est appelée à devenir, le premier et l’ultime qui construit notre vie. Le plan humain veut toujours saisir et maîtriser. Hors l’expérience de Dieu est une déprise de soi qui est une autre figure de la foi. Il n’y a qu’une seule certitude qui peut contenir le doute, c’est comme Abraham et Marie, Dieu est avec nous et en nous. Lorsque nous sommes dans l’ombre, Dieu est en avant de nous. Nos vies, nous les voyons dans l’immédiateté mais Dieu nous voit dans notre vie entière. Il peut y avoir de la croissance de foi et de confiance à remettre à Dieu ce que nous ne savons pas nous-mêmes. Dieu ne veut pas que nous soyons tourmentés. Les fruits de l’Esprit en Galates 3 sont Amour, Joie, Paix, patience, maîtrise de soi, bienveillance, regard positif sur les autres et pour celà il n’y a pas de loi.
Fabrice Morrachini nous parle du doute, diffèrent selon les personnes, ce peut être la réalité de Dieu qui peut être mise en doute, mais également beaucoup de gens ne croient pas du tout, se disant athés et ne doutent pas de leur athéisme ou de leur agnosticisme. Pour qu’il y ait un rapport à Dieu, il faut qu’il y ait une certaine forme de doute, fragilité de dependance. Le troisième doute, est le doute de sa prope religion par rapport aux autres croyants. Au sein même de l’Eglise chrétienne, la notion du saint est très différente. Il y a aujourd’hui une tendance à faire évoluer la sainteté plus comme un modèle de comportement humain. Le propre de la sainteté chrétienne qui implique l’incarnation de la personne divine dans la personne humaine qui est le centre de la révélation christique qui outrepasse toutes les formes de sacré mais aussi les intègre.Ce qui fait que le christianisme se doit d’être une religion universelle. En même temps il y a le risque de perdre cette universalité en perdant le sens propre de ce qu’implique être un saint dans le Christ.
Madame Casalonga répond à une personnne de l’assemblée qui lui demande comment les saints qui ont souffert des Ténèbres ont pu lutter et garder confiance. Evidemment les personnes dont nous avons parlé sont des êtres exceptionnels, comme Thérèse de Lisieux, ou Teresa de Calcutta. Dans l’élaboration de la doctrine spirituelle des grands maîtres, il y a une marque de nuance par rapport à l’état de Ténèbres. L’état normal de la progression dans la foi est ancrée d’avantage dans la lumière de Dieu qui est une Ténèbre et qui ne produit pas au moment de la prière, ni angoisse, ni inquiètude, ni doute. Cette Ténèbre là est saisie par l’homme comme surabondance de lumière. Saint Jean de la Croix appelle l’intention amoureuse, un état de calme, de paix, de joie non pas émotionnel mais profond. Il s’agit de personnes qui ont traversé toutes les étapes et qui sont dans des états d’union à Dieu qui leur fait vivre l’identification au Christ dans sa radicalité la plus absolue selon le possible, l’illimité communion avec le Fils sur la croix, l’illimité de l’habitation des Trois à l’intérieur de l’âme est reservé à quelques uns. C’est de l’ordre de l’exceptionnel. Il y a des degrés dans la voie spirituelle. Selon notre profondeur de vie de foi, nous pouvons connaître des nuits successives qui sont de l’ordre de la douleur de Mère Teresa. A ce moment là, Dieu donne la grâce. Lorsqu’une épreuve vient, Dieu n’est jamais très loin.
Le degré d’épreuve est aussi l’appel au dépassement. On peut à la fois être saisi dans des oraisons et être dans la nuit de l’intelligence. On peut être dans la nuit de l’Amour et être dans des degrés d’union avec Dieu trés avancés.
Le Père Rémy Kurowski demande à Elyane Casalonga de parler de la tentation, comment comprendre alors ce « ne nous soumets pas à la tentation ». Parler de la tentation est toujours dangereux, dit-elle. Ce qui est tenté en nous, ça (?) n’est pas le lieu de Dieu. Ce qui est tentant par rapport à nous est le lieu de notre fragilité humaine, psychique ou affective ou physique. Il est trés important de savoir qu’en nous il y a un lieu sans lieu, l’âme, la fine pointe, l’étincelle, l’esprit, qui est le lieu de Dieu. Le centre de l’âme et le centre de l’homme est Dieu par le baptême. La tentation n’est jamais de l’ordre définitive de notre vie spirituelle. Ce lieu de Dieu est le lieu de l’inhabitation trinitaire. Les tentations ne peuvent pas atteindre ce centre. Jean de la Croix dit : “regardez la Trinité bien heureuse en vous, demandez lui d’être libéré des tentations”. Thérèse d’Avila nous dit d’invoquer Jésus et les démons partiront. Les tentations sont là comme une pédagogie de Dieu pour éprouver la qualité de notre foi. Telle notre tentation, telle est notre foi. L’épreuve de nos vies est une épreuve d’Amour.
Le Père Rémy Kurowski conclut en posant la question suivante : l’expérience des Ténèbres est normale mais pour qui est-ce normal ? Y être muet n’est ce pas la meilleure façon de la considérer comme une intimité sublime de la rencontre qui ne se dévoile pas ? Ceci invite à une déprise de soi et il n’y a pas à confondre avec la méprise de Dieu, ni la méprise de soi et de son experience.. Le doute est un signe de la naissance de la croissance, ceux qui ne doutent pas ne se doutent certainement de rien. Consentir à souffrir la nuit, n’est ce pas quelque chose d’arraché à l’article de la mort ? Même si l’on y consent de notre vivant, c’est pendant la souffrance de la nuit qui sera bien présente à ce moment là aussi, car Dieu est nuit, par surabondance de sa Présence.
* Mother Teresa, Come be my light, te private writings of the “saint of Calcutta” edited with commentary by Brian Kolodiejchuk, M.C. New York, London... 2007
ANNEXES :
I La Perle évangélique, 1537
« Je crois que, dès l’éternité, j’ai été incréée en votre divine essence, en la mémoire du Père, en la connaissance du Fils et en l’amour du Saint-Esprit, et que vous m’avez créé en votre image et semblance, et qu’à celle vous vous êtes uni… L’Esprit est je ne sais quoi de nu et informe, et qui perpétuellement l’incline vers son origine qui la fait être un éternel et vivant miroir de la divinité recevant continuellement dedans soi l’éternelle génération du Verbe et l’image de la bienheureuse Trinité en laquelle Dieu se connaît soi-même, et tout ce qu’il est, tant en essence qu’en personne… Celui qui veut chercher Dieu et le trouver, qu’il le cherche en soi-même, à savoir au fond intime de son âme, où est l’image de Dieu, et fouisse le champ de son essence créée fort avant, et par ce moyen il se trouvera lui-même idéalement incréé en l’essence divine et en la nue essence de l’âme, et ce faisant il reviendra à son principe, par le moyen de Jésus-Christ qui est notre Voie… Parvenir à ce noble néant et être fait rien, et unir ce rien, c’est-à-dire mon âme, avec rien qui est Dieu… C’est par l’image de Jésus-Christ que nous sommes entrés dans l’abîme de l’âme : Dieu a daigné se revêtir de notre sac mortel, afin que, par les mérites de notre humanité très sainte, il nous purifiât, réformât toutes les puissances de notre âme, et que, par le miroir de ce Dieu-Homme, il fît de nous enfin un homme-Dieu… Nous sommes comme anéantis et dépouillés de notre créaturité, c’est-à-dire de tout ce qui en temps a été créé en nous, et nous sommes faits par grâce ce que Dieu est. »
II Claudine Moine, la « Couturière mystique »
Née en 1618 en Franche-Comté, placée comme lingère et dame de compagnie à Paris dans une maison du Marais. Manuscrit rédigé à la demande de son confesseur, le Père Castillon, pour décrire ses états de contemplation, retrouvé et édité par le Père Guennou en 1959..
« En cet état, l’âme est toujours vide et toujours pleine. Toujours vide en ce que tout s’efface d’elle, soit les œuvres extérieures qu’elle opère, soit les affections intérieures qu’elle reçoit, n’en retenant ni conservant aucune idée, ni aucun souvenir ; et toujours pleine, à cause des affections amoureuses que Dieu y verse incessamment. Toujours vide, et c’est, ce me semble, l’état permanent et immuable de l’âme, duquel elle ne sort point, en ce qu’elle a une impression simple, douce mais forte, de son néant et du néant de toutes choses créées, qui la vide d’elle-même et de toutes les créatures ; toujours pleine, en ce qu’elle a une impression simple, douce, mais aussi forte, de Dieu qui la remplit, et toutes ses puissances, et les recueille entièrement !... L’imagination, quelque folle et extravagante qu’elle soit, ne court plus : elle est enchaînée et enfermée quelque part, d’où elle ne sort plus… Quand, parfois, j’entends dire : « On se représente et on entend dire tant de choses », cela me surprend et ne le puis comprendre ; car je n’ai ni image, ni figure, espèce ou représentation soit corporelle soit spirituelle, non pas même de la divinité et humanité de Notre Seigneur, et lorsqu’il s’en présente et les veux former, il y a quelque chose en moi qui les rejette et les détruit en un moment, parce que je veux Dieu et non son image ou sa figure ! »
III Sainte Elisabeth de la Trinité, morte au Carmel de Dijon en 1906, à l’âge de 26 ans.
Dans une humble et pauvre étable, 25.12.1904 :
O profondeur. Insondable mystère,
Mon cœur devient votre humble sacrement,
Venez en lui glorifier le Père
Dans le silence et le recueillement.
« La Sainte Trinité nous a créés à son image, d’après l’exemplaire éternel de nous-mêmes qu’elle possédait dans son sein avant que le monde fût, en ce commencement sans commencement dont parle saint Jean (« au commencement était le Verbe ») ; et l’on peut ajouter : au commencement était le néant, car Dieu en son éternelle solitude nous portait déjà dans sa pensée… Notre essence créée demande à rejoindre son principe. Voilà pourquoi Dieu veut que, délivrés de nous-mêmes, nous tendions les bras vers notre exemplaire et que nous le possédions, montant vers notre modèle… Je n’ai plus rien su. Voilà ce que chante « l’épouse des cantiques » après avoir été introduite dans le « cellier intérieur ». Il me semble que ce doit être aussi le refrain d’une louange de gloire en ce premier jour de retraite où le Maître l’a fait au fond de l’abîme sans fond, pour lui apprendre à remplir l’office qui sera le sien durant l’éternité et auquel elle doit s’exercer dans le temps qui est l’éternité commencée… Ceux que Dieu a connus en sa prescience, Il les a aussi prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils, le Crucifié par amour. Quand je serai toute identifiée avec cet Exemplaire divin, toute passée en Lui, et Lui en moi, alors je remplirai ma vocation éternelle : celle pour laquelle Dieu « m’a élue en Lui », « in principio », celle que je poursuivrai « in aeternum », alors que, plongée au sein de ma Trinité, je serai l’incessante louange de sa gloire. »
L’âme ainsi simplifiée et unifiée devient le Trône de l’Immuable, puisque « l’unité est le Trône de la Sainte-Trinité ».
L’oraison selon sainte Elisabeth ? « L’union de celle qui n’est pas avec Celui qui est ».
IV Hymnes orphiques, IVe siècle av. JC (peut-être reprise d’un texte encore plus ancien).
« J’adresserai mes paroles à ceux qui ont droit à cette révélation. Ecoute Musée, fils de la Lune brillante, je vais te révéler la vérité et puissent les pensées précédemment admises dans ton cœur ne pas te priver de la vie précieuse. Regarde le Verbe divin (il s’agit de Bacchus-Dionysos), et prends la première place. Contemple le seul créateur du monde, celui qui ne subit pas la mort. Seul il est parfait et c’est par lui que tout s’achève. O fils, approche-toi en esprit et laisse pénétrer dans ton cœur la révélation.