2009/08/09 - Homélie - Athènes
Puisque nous nous trouvons dans un Carmel, j’ai pensé préférable de m’attarder sur la première lecture et à partir de la grande figure du prophète Elie m’aventurer devant vous sur le chemin de toute vie spirituelle. En effet, il y a eu Carmel, il y aura Horeb, mais le passage que nous venons d’entendre (I Rois 19,4-8) nous place au désert. Ces trois indications géographiques à la valeur symbolique très forte constituent la trajectoire de toute vie chrétienne et le passage au désert est comme une jointure entre l’action menée au nom de Dieu et l’expérience de la manifestation de Dieu. Sur le mont Carmel, Elie vient de livrer une grande bataille contre l’idolâtrie et ses protagonistes, mais la victoire sur les prêtres de Baal lui vaut une animosité de la part de la reine Jézabel, et pour échapper à la mort, Elie s’enfuit au désert.
Désert est un lieu de séjours passagers
- d’approfondissement des connaissances (qu’est-ce qui m’arrive ?),
- d’enracinement de la prise de conscience (qui suis-je ?)
- Mais aussi et sur le plan existentiel en premier, un lieu d’élargissement des champs d’expériences (seul et perdu).
C’est l’enracinement de la prise de conscience qui me semble central. Il serait peut-être important de rappeler ici ce que dit Edith Stein dans le livre consacré à st Jean de la Croix « Science de la Croix » lorsque, dans le passage consacré à La nuit passive considérée comme une mise en croix, elle dit que « la première nuit confère à l’âme la connaissance de soi, par laquelle elle arrive à sonder sa propre misère » (p. 17, Louvain, Paris, Nauwelearts, 1957). Edith constate que peu nombreuses sont les âmes qui arrivent aussi loin, mais de façon certainement imparfaite car partielle aussi bien dans l’expérience elle-même que dans les effets, cependant, toute âme est appelée à en goûter tant soit peu. Elie acquiert une connaissance de soi au travers de cette expérience douloureuse, car sa vie même est en danger.
Désert est un lieu de fuite
- des autres
- devant soi
- devant Dieu ?
Cette fuite se solde par un échec : on n’est jamais sûr d’être suffisamment loin hors de la portée de nuisance de la part des autres, et comment fuir devant soi puisque justement c’est avec soi-même que l’on est en fuite. Fuir et donc échapper aux autres et à soi-même, une seule solution semble possible pour le croyant -et ce que Elie fait - demander à Dieu de disposer de notre vie, mais la solution envisagée est si radicale que même Dieu ne peut en aucun cas y accéder. « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères ». En trois étapes tout y est dit : le découragement nuit à la claire et objective vision de la vie, il favorise, cependant, la nécessité de s’arrêter et de faire le bilan, un bilan incomplet et partiellement injuste, soit ! mais oh combien nécessaire. Car c’est dans ces conditions que le dialogue semble pouvoir reprendre.
Désert est un lieu de rattrapage
- par lassitude
- par dépit
- par Dieu
- par la Vie
Rattrapage dans la fatigue et dans l’angoisse extrêmes, en dépit de toutes les solutions (la solution) envisagées : Etre réveillé dans le sommeil, comme Elie l’a été, c’est consentir à se mettre en route, cette fois-ci à l’aide de la nourriture qui vient du ciel et non plus celle qui vient des pensées ressassées mal digérées et forcement amères. Le non-goût à la vie peut céder à l’accueil d’un goût renouvelé, goût indispensable pour marcher avec succès vers le lieu de la manifestation divine. Pour arriver à quoi ? A constater à nos propres dépens, comme Elie l’a fait, que Dieu ne se manifeste pas où nous le pensions, ni pour les autres ni pour nous, mais qu’il est déjà là. Et que le vrai face à face avec Lui se trouve dans l’abandon (sommeil), dans ce lâcher prise dont Jésus nourrit dans Eucharistie, lui le Pain de vie ; et celui qui croit en lui a la vie éternelle (Jn 6,50).
Combien des déserts faut-il pour y croire pas seulement de bouche, mais aussi de coeur ?