2015/04/24 - Népal - TEMPS SPIRITUEL
Nous sommes au Népal avec les groupes de lycéens de l’aumônerie catholique de Hong Kong
Cet après-midi-là, le temps spirituel était consacré à la réflexion sur le thème de l’écoute. C’est Anne-Christine, la responsable du groupe, qui en a l’idée. Il faut les aider à apprendre à lire les signes que Dieu leur envoie, disait-elle en m’associant au projet. J’y ai bien évidemment consenti avec joie. Nous animions chacun une partie. Elle parlait de l’écoute de soi-même et de celle des autres. Et moi, j’avais à présenter comment écouter Dieu… un sujet ambitieux et délicat à la fois.
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La culture asiatique est marquée par cette légende des trois singes sages. Dans la version japonaise, on appelle ces trois singes sages Mizaru, Kikazaru et Iwazaru. Le premier se pose les mains sur les yeux, le second se bouche les oreilles et le troisième pose les mains sur sa bouche. Ces trois noms signifient littéralement : ne voit pas, n’entend pas et ne parle pas. La légende des trois singes est née au VIème siècle de notre ère, lors du pèlerinage d’un moine bouddhique chinois en Inde d’où il l’a rapportée en Chine puis au Japon. C’est dire que les idées circulaient et s’enracinaient dans le terroir propre à chacun de ces trois grands réceptacles culturels. Et même au-delà…
Les interprétations sont bien diverses
- je ne dis rien de ce qu’il ne faut pas dire, je ne vois pas ce qu’il ne faut pas voir, et je n’entends pas ce qu’il ne faut pas entendre
- ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal
- il y a ceux qui voient des choses et en parlent, mais n’écoutent pas ce qu’on leur dit ; il y a ceux qui ne voient rien, écoutent les autres et en parlent ; il y a ceux qui entendent et voient des choses et n’en parlent pas.
Toute cette sagesse humaine, d’une manière ou d’une autre est contenue dans la Bible. Mais la Bible en rend compte à sa façon, pour faire comprendre le lien avec Dieu.
« Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » ou expressions semblables, Jésus le dit souvent. Chaque fois il le fait comme pour appuyer le sens de ce qu’il vient de dire ou faire. Il le dit pour faire comprendre le sens de la mission de Jean Baptiste, son précurseur qui résume toutes les attentes du peuple d’Israël (Mt 11,15). Il le dit en expliquant aux disciples la parabole du semeur sur le désir de Dieu d’étendre son royaume dans les cœurs de tous les êtres humains et par eux dans toute la création (Mt13,9), celle de l’ivraie porte sur la difficulté de voir un tel désir se réaliser tout de suite et dans la totalité (Mt13,43) Et il cite le prophète Isaïe qui contient ces mêmes paroles : « Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas, vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas, car le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur et pour ne pas se convertir. Et je les aurais guéris » Is6,9-10, cité dans Mt13,14-15. Isaïe utilise donc cette formule connue dans la légende des trois singes sages, il le fait presque mille ans avant la naissance de cette légende asiatique pleine de bon sens. Pour Jésus qui reprend cette citation, il ne s’agit pas de faire des reproches gratuits à ses coreligionnaires. Il développe l’enseignement sur l’endurcissement du cœur, une thématique bien connue dans l’histoire de son peuple. Ce thème est bien présent, surtout dans l’épisode de la sortie d’Egypte, lorsque Moïse tente de persuader Pharaon de laisser partir les Hébreux, mais le coeur de Pharaon fut endurci. Qui a endurci ainsi le cœur de pharaon ? Cet endurcissement est due à la décision de Pharaon lui-même, mais parfois, il est causé par la décision de Dieu lui-même, c’est dire la responsabilité de la liberté humaine d’une part et la souveraineté de Dieu en toutes choses (Ex7,3 ) Ce qui veut dire que même l’obstination de Pharaon sert le plan de Dieu qui garde toujours la main. Ce plan consistant à libérer son peuple, comme signe de la libération de toute l’humanité, y compris celle du Pharaon en question.
Dieu envoie des signes à tous mais nous ne pouvons pas tous les comprendre, en tout cas pas tout de suite.
« Vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient et vos oreilles parce qu’elles entendent » (Mt13,16-17)
Ecouter pour voir et parler, telle est la trajectoire de la vie chrétienne. Dieu parle pour nous faire voir et en parler à notre tour. Les signes en sont nombreux, déjà dans la Bible, mais aussi dans notre propre vie. Ecouter notre corps, notre cœur et notre esprit, mais écouter avec les écouteurs de la bienveillance divine sur nos oreilles.
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Le lendemain de notre entretien spirituel, la terre trembla au Népal.
Qui pouvait deviner qu’il nous serait donné de lire là des signes. Signes dont le sens a encore du mal à faire son chemin pour parvenir clairement à nos consciences. Des signes aussi violents seraient-ils pour quelque chose de bon au milieux de tant de morts, blessés, malheureux errants adultes et enfants ainsi privé d’abri. Lorsque la terre tremble, le cœur n’est pas en paix, tant qu’il n’a pas trouvé quelque part un sens à tout cela. Travaux pratiques d’une étonnante exigence.