2019/09/17 - Journal - Elia et moi

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La promenade matinale du chien est une occasion de passer du temps avec ma nièce. Nous sommes le dimanche matin. Le trajet nous conduit hors de la ville par le terrain boisé sur le flanc des buttes du Parisis. Depuis le haut, une belle perspective sur Paris s'ouvre à nos yeux, le soleil matinal dore l'atmosphère qui se dégage des façades lointaines. Il est bon de vivre pour les yeux et pour le corps, ou presque. Depuis le réveil je ressens une douleur sur le côté droit entre la cage thoracique et le bassin. Deux hypothèses sont en cours dans ma tête : problème musculaire ou rénal, les deux pourraient être imputés au déménagement de plusieurs cartons de livres la veille, pour en finir avec un entrepôt d’affaires laissées chez des âmes charitables en quittant la France, il y a déjà si longtemps. Je me repose un peu et nous allons à la collégiale pour participer à la messe des vœux perpétuels de la sœur Elia, c'est la raison de mon voyage.


Dans une atmosphère festive, entourée de nombreuses sœurs de sa congrégation venues de Pologne (congrégation de fondation française), la sœur Elia Caroline, d'abord prostrée durant la litanie des saints, puis debout  prononce les vœux :


Moi, sœur Elia de la congrégation des sœurs de Notre Dame des Douleurs....


Pendant ce temps, moi-même, assis dans les stalles depuis déjà un bon moment, finis par demander à mon confrère de m'accompagner à la sacristie. Je bois dans une bouteille qui se trouve sur la table, cela soulage.  Nous revenons dans le chœur, la messe est en train d'être dite, le vicaire de la paroisse cherche deux prêtres pour accompagner le curé à l'autel. Il me débusque et me voilà, visage pâle (malgré mon exposition au soleil quasi quotidienne), debout (je ne sais comment), à la vue de tout le monde. Je suis désigné (naturellement) pour donner la communion et cela dure. Et cela s'accompagne d’échanges d'émotions dans les yeux, sur les visages, les grands sourires précédant les amens chargés d'un mélange de spirituel et de charnel, certains me touchant la main. Mon visage leur rappelle beaucoup de choses, son aspect fébrile en guise de valeur ajoutée. Des retrouvailles avec eux, car  de nouveau à la collégiale pratiquement la première fois depuis mon départ de Montmorency. Cela continue après la messe sur le parvis, sous un soleil digne de Hong Kong, et dans la salle st Valéry. 

 

Beaucoup d'émotions exprimées, certains me demandent si ça va... Oui ça va, surtout ça va aller, mais quand, je ne le sais pas. La fête n'est pas finie, le déjeuner nous attend chez les Pallotins en haut de Montmorency. Sur la route je m'arrête chez Thierry et Esmé, les amis médecins. Elle était à la messe, mais pas lui, immobilisé chez lui par une sciatique. Enfin le diagnostic est posé, une colique néphrétique. Comment  soulager la douleur un dimanche après midi? Appeler les  urgences :  30 minutes pour avoir le standard. "Je suis un ancien Urgentiste", Thierry (diacre permanent depuis quelques années) essaie de se frayer le chemin au milieu des questions pour satisfaire le bout du fil qui, finalement, promet d'envoyer une équipe dans la soirée. 


Après avoir annoncé qu'il va se débrouiller, il raccroche, la pharmacie de garde, à 15 minutes en voiture, fera l’affaire. Une fois piqué dans le vif de mon tissu musculaire du fessier, mal en point comme tout le reste,  au bout de 7 minutes (le temps d'une homélie standard, c'est long, surtout quand on attend la fin) c'est soudain fini; la douleur est partie, et moi, je suis revenu à moi. Mais c'est un peu plus tard que j'ai  compris, que je ne m'étais jamais quitté. Tout en me disant aussi que je n'ai jamais été plus moi-même, car à moi-même, que dans ces moments-là. En attendant, il faut tout de même aller à la fête, rien que pour les informer de la situation.


Sœur Elia, j'ai un compte à régler avec vous, je lui assène d'entrée.  Elle écarquille ses yeux ronds déjà grands naturellement et dans un sourire complice me sort : mon père, ce n'est pas pour rien que c'est aujourd'hui la fête de Notre Dame des Douleurs. 


Non pas pour rien, en effet, j'ai vécue la pire messe de ma vie, je n'ai jamais autant souffert physiquement; certes, pas pressé de m'unir par mes souffrances au sacrifice non sanglant sur l'autel, mais tout heureux de pouvoir partager avec la sœur et son entourage la joie d'être présent, malgré la distance et une période pas vraiment propice pour des virées touristiques le temps d'un weekend. 


Mais ce que je ne savais pas, c’est que la messe n'était pas finie. Or, j'aurais dû le savoir, moi qui insiste tant sur la troisième table, celle de la charité qui doit prolonger la messe pour qu'elle se poursuive. 


Pour la sœur Elia je n'ai pas de doute, elle s'engage dans la voie religieuse en prenant le voile d'une soignante, mais pour moi, c'est comment? J'y communie, mais concrètement comment ? Je n'allais pas tarder à le savoir. Une fois à Paris la colique reprend, j'appelle Thierry. Le même confrère qui se trouvait sous la main dans la collégiale, est maintenant à Paris, prêt à me reconduire à Soisy. Finalement aucune autre intervention médicale n'est nécessaire, depuis plusieurs heures je n'ai plus mal.  


C'est rare, mais cela arrive que la colique récidive, c'est comme une secousse de tremblement de terre. Avant le dîner je leur demande de pouvoir visionner le film d'Elia par Elia, le chemin de sa vie au côté de Mirabel sa jument à la crinière blanche, vie d'une adolescente sensible et éveillée artistiquement, indépendante et curieuse de tout, ouverte d'esprit, un peu solitaire, mais avide de contacts. A 16 ans, dit-elle, je suis allée en Inde, là où généralement on se perd, alors que moi, c'est là que je me suis retrouvée. 


A la faveur d'une appendicite opérée  et recousue un peu à la hâte, elle doit être soignée en France. Elle l'est par les sœurs "piceuses", comme on les appelle familièrement. De ce monde là, elle ignore vraiment tout, dans sa famille personne n'est baptisé. C'est alors qu'une vraie amitié spirituelle avec l’une d'entre elles surgit au milieu des palissades d'autodéfense érigées pour être à l'abri de toute contamination dont le foyer d'infection se trouve à coup sûr dans des êtres certes dévoués, mais porteurs de dangers évidents. Finalement, sœur Gabriela sera son accompagnatrice et sa marraine de baptême, et c'est  à moi que reviendra le geste de l'eau versée  abondamment, traversant sa chevelure encore plus abondante, l'eau l'atteignant au nom de cette charité qui ne se démode pas, et qui, surtout, ne déçoit pas.


Le dîner sur la route de l'aéroport a eu lieu dans un restaurant chinois, question de me réhabituer à ma vie ordinaire, après une escapade de quatre jours et trois nuits.


Je suis dans l'avion, la descente sur Hong Kong est entamée, nous avons une bonne heure d'avance tellement les conditions météo sont favorables pour une poussée orientale que j'accompagne de la Levantine Symphony d'Ibrahim Maalouf. Encore dans la soirée, j'ai envoyé un message rassurant à ma nièce, dont la fille, qui est aussi ma filleule,  s'appelle également Elia, mais c'est une autre histoire.