2009/02/17 - Méditation personnelle - L'Homme, le vélo et le chien.

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L'Homme, le vélo et le chien.

Le chien court derrière l'homme à vélo. Il n'aime pas le voir passer. Pourquoi ? A cause de son équipement ? Tout en courant, le chien renifle l'homme pour savoir si celui-ci a embarqué la balance ou au contraire, le chien trouve que l'homme ne l'a pas embarquée et ceci met ses sens en excitation. Oui, le danger est là : le chien ne peut que courir bas et voir à l'horizontale, l'homme a pris le risque de monter d'abord sur ses deux pattes et puis sur le vélo. Le vélo, le produit de sa pure invention, aucune similitude avec quelque chose déjà existant, comme par exemple entre un avion et un oiseau. L'homme a pris le risque de marcher en roulant. Il déambule dans les rues et sur les routes et cela ne plait pas au chien. Tant que l'homme est à vélo, il court le risque de s'arrêter en tombant ou tout simplement en descendant. Mais lorsqu'il est arrêté, il est encore plus vulnérable, car le chien qui reniflait le danger, lequel lui échappait au fur et à mesure qu'il avançait, là, dans cette situation arrêtée, le chien trouve une proie bien facile. Il peut mordre à souhait, il peut se délecter comme un rapace. La victime est trop belle. Elle est morte et il mange de la mort pour vivre, voir même survivre.

Le meilleur allié de l'homme n'est pas le chien qui le ferait pédaler plus vite que ce qu'il avait l'habitude de faire, son meilleur allié est le vélo, le fruit de ses entrailles. Leur relation est très intime donc et très distante en même temps. Inutile d'insister sur le caractère intime, mais la distance, comment s'exprime-t-elle ? Par le fait que, puisque avant que le vélo n'existe, la relation n'existait pas non plus ! Par le fait aussi  (et par la suite) que l'homme peut être bien à vélo, à condition d'avoir été bien avec ses deux pieds par terre, comme un chien est à quatre pattes. C'est donc l'intimité à lui-même, ainsi exprimée, qui assure à l'homme, à la fois l'intimité avec lui-même et avec son vélo. Mais poursuivons sur la distance. L'homme en est distant dans la mesure où il peut, dans certaines circonstances, descendre de son vélo, soit pour se reposer, soit pour marcher à pied en poussant le vélo, où encore en le laissant  à l'endroit ou il était descendu ou plus loin et surtout plus tard. L'homme n'est pas dans une relation d'obligation avec son vélo. Il peut l'abandonner, il peut le laisser tomber, s'arrêter lui-même ou continuer sa marche à pied.

Avec son vélo ou sans, le chien est toujours là. Le chien agressait l'homme lorsque celui-ci n'avait pas de vélo et continue après. Le chien est toujours là, le vélo pas forcement, mais c'est avec l'apparition du vélo que le chien a compris que l'homme bien qu'équipé d'un engin  plus sophistiqué qu'un bâton, sur le vélo était devenu plus vulnérable et par la même plus irritable. Le problème, ce que l'homme peut aller à vélo plus ou moins vite, parfois plus vite que le chien courant, parfois la vitesse de l'homme à vélo étant tout à fait à la portée du chien. Mais, dans les deux cas, le chien prend des risques nouveaux, comparé à l'homme équipé d'un bâton. Peu importe la vitesse, le chien court le risque de se faire cogner par l'homme à vélo, voire même, surtout quand cela va vite, de se faire cogner par le vélo lui-même. Un mauvais mouvement de l'un ou de l'autre et l'accident est garanti avec une voire deux victimes, sans parler des dégâts matériels.

Tout compte fait, l'homme n'a que le choix d'être à vélo, surtout depuis qu'il en a appris l'usage. Et peut importe s'il porte avec lui  sur le vélo cette foutue balance ou pas. Bien que la valeur de sa vie se mesure désormais à l'aune de sa capacité à avancer à vélo, mais qu'il la prenne ou pas cette balance pour nourrir son instinct primitif de l'homme d'avance, de l'homme d'avant, pour le chien ceci n'est pas important.

Le chien finit par s'essouffler et l'homme repart sur son vélo.

Peu importe si le chien  suit ce que l'homme transporte sur le vélo et peu importe ce que celui-ci transporte et peu importe ce qu'il en est en vérité de la balance y intégrée ou pas, ce qui importe c'est que l'homme se remette à avancer à vélo. Et que le chien courre derrière l'homme. L'entente cordiale fut signée à vie de ces deux.

                                  " Mon ami le chien "

La mise en scène d'un concurrent filou, félin véloce et non dénoué d'intelligence intime dont le regard  énigmatique ne laisse aucun doute. Nous sommes dans la guerre du pouvoir. Le chat ne miaule plus, il se tait, il ne dit rien, il se prélasse au soleil du midi et ne rechigne pas après la nuit étoilée. Il y est  sans être, ni encombrant, ni insignifiant. Le chien a flairé l'affaire  quand il a senti cet autre mammifère, le chien est au chat ce que l'homme est pour le vélo. Tout le monde court, mais seulement un seul fait des discours. Tous peuvent être cassés et presque aussitôt réparés, tous sont fatigués et usés, mais seulement le vélo ne peut pas être muselé. Car même cadenassé, le vélo ne crie jamais que de la liberté il en a assez. Le chien et le chat sont dans la liberté de leur espace, l'homme dans celle de son vélo et le vélo n'en a qu'une seul, tout compte fait, celui de pouvoir jouir de l'usure et de fatiguer les matériaux  dont il est fait jusqu'à la cassure qui est une alerte principale de l'existence de l'homme en cavale.

Au début, le chien et l'homme ne faisaient pas attention au chat qui circulait en roue libre. Puis, à force de se faire voir, ils ont compris qu'à la longue, ils pouvaient se faire avoir. La peur leur a pris aux entrailles et entravait le repos si mérité. Ils ont donc décidé d'engager une relation avec le chat. L'homme a repris le vélo, le chat dans le panier devant et le chien à l'arrière. L'homme pédalait heureux en si belle et harmonieuse compagnie. La vie aurait pu continuer ainsi. L'homme s'est senti fatigué, le chat a repris ses quartiers libres et le chien a fait la chasse à courre.

L'homme reposé a consulté le chien et le chat pour savoir si le lendemain ils allaient repartir dans les même conditions. Le chien voulait courir, le chat voulait dormir. Et l'homme n'avait qu'à pédaler. Le chien courait, le chat dormait et l'homme n'arrêtait pas de réfléchir. " Après tout, ce chien qui court en toute liberté, il aurait mieux fait de m'aider pour que j'aie, avec son concours, un peu moins une chienne de vie ! " s'écria l'homme. Le chien, au début, pas très chaud, n'était pas de cet avis, mais forcé et contraint par le dressage efficace, a fini par obtempérer. L'homme s'est mis à cogiter pour savoir comment ajuster le siège et le pédalier prévu pour le chien. Pendant ce temps-là le chat dormait toujours. Cependant le temps de grandes illusions ne dura pas longtemps. Le chien préférait courir, le chat vivait sa vie et l'homme n'avait que la sienne.


Songeur, l'homme repensa à sa vieille balance d'autrefois, d'avant qu'il n'eut inventé le vélo. D'un équilibre stable, où les choses étaient claires, le bien était bien et le mal pas mal du tout, il est passé à vélo qui n'existe dans sa destinée qu'enfourchée et donc faisant corps avec lui, l'homme, qui médite sur  le temps qui passe et qui parfois le laisse tomber. La nostalgie lui procura de la tranquillité. Ce vieux temps où il n'y avait ni chien ni chat, ce vieux temps où l'on pouvait se contenter de peu, si peu que jamais l'on ne perdait  de vue l'essentiel. " Le chien me fatigue, le chat m'intrigue " Mais quel autre bénéfice à  tirer de cet animal intrigant et quel repos chercher en fouillant cette chienne de vie, si fatigante à tant d'égards? Il ne savait pas, il ne le savait plus. Enfin, heureusement, il y avait le vélo. Sur le vélo il y avaient le chien et le chat, y avait-il aussi la vieille balance ? Même génétiquement modifiée, intégrée dans le système de repérage  automatique ? Il ne le savait plus. Le chien et le chat étaient là  et même si, face à la question de la vie ils ne faisaient pas le poids, ils avaient en eux quelque chose qu'il ne supportait pas à vélo : d'être balancé d'un côté et de l'autre. Même si ensemble, ils ne faisaient pas le poids, mais, lui contraint à la balance qui pèse lourd et fait payer au prix fort, lui, l'homme, même à vélo, ne les balançait pas. Et moi, ayant écrit cette histoire un jour d'hiver, je me replonge dans Socrate et ses chimères.