2011/01/21 - Réflexion pastorale - COMMUNAUTE EDUCATIVE : place de la dimension croyante !

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Au personnel enseignant et administratif d’un collège et d’un lycée technique privé catholique dans le Val d’Oise.  

 

1°  La place de la religion dans la société française.

 

Selon les derniers sondages d’opinion 66% de français s’émerveillent dans leur vie, dont 67% sont des catholiques non-pratiquants et 75% des catholiques pratiquants. Emerveillé veut dire être mis en mouvement, ‘je ne reçois pas seulement une beauté singulière « en pleine figure », je suis convoqué par elle’. On peut identifier quatre grands domaines dans lesquels l’émerveillement peut avoir lieu : par les sciences, par la raison (pensée), par l’art dont la poésie et par la foi. Sont ainsi mises en oeuvre l’intelligence discursive et  la sensibilité émotive qui se mettent au service d’une relation avec un objet ou une personne.  

 

La France, toujours au vu des sondages d’opinion, est le pays le plus sécularisé du monde : 20% de croyants en Dieu personnel, 17% d’athées (record mondial).

 

Danièle Hervieu-Léger parle même de l’exculturation du christianisme.

 

La rencontre, dans les cadres de la semaine de Prière pour l’unité des chrétiens, avec les élèves de 5-èmes qui ne sont pas catéchisés par choix de leurs parents et le leur,  dans un établissement catholique privé du Val d’Oise en est rappel et illustration.

 

Dans ce processus, deux nouvelles tendances se manifestent actuellement :
-les croyances ésotériques ou exotiques  chez les jeunes et chez les  ‘sans religion’.   
-la réaffirmation du christianisme de conviction au travers des grands rassemblements et sous des formes de dévotions renouvelées.


 
On pourrait presque en dire autant des autres religions présentes sur le sol français.

 

En réaction à cela,  apparaît la radicalisation de la mouvance laïciste. Les dernières semaines en fournissent des preuves largement relayées par les médias : la déclaration du no Un du Front national sur le non respect de la loi concernant le port de voile par une conductrice, le licenciement d’une femme voilée ou encore le refus d’une crèche de Noël dans les rues d’un village...  

 

Quels principes ou quelles valeurs sont en jeu pour qu’ils mobilisent  autant et avec tant de vigueur ? Selon un autre sociologue, Franck Frégosi : tous ces petits faits divers réveillent une inquiétude et une volonté de repli, soit sur la France chrétienne, soit sur un héritage laïque. Mais on joue sur les représentations, voire des illusions.’  

 

Attardons-nous un peu sur ce terme : laïc, laïciste, laïcité, décliné sous ces formes-là ou d’autres semblables. La racine du mot d’origine grecque, veut dire ‘venant du peuple’. Après une première phase de son application à la vie des communautés chrétiennes pour signifier le vis-à-vis, la complémentarité avec les clercs, dans son usage traditionnel dès le M-A, le mot laïc est employé pour opposer le peuple  au clerc. Le laïc est donc quelqu’un qui s’oppose  au clerc déjà dès avant la Renaissance et surtout  depuis les Lumières. Depuis la Révolution, il   cherche même à conquérir la totalité de l’espace autrefois géré par les clercs. Des exemples de la présence  d’une telle tendance ne manquent pas non plus à l’époque actuelle.

 

Dans cet esprit de compétitivité, voire d’opposition on se croirait alors au Moyen-Age, comme à l’époque de la Réforme interne à l’Eglise avec Luther qui se solde par la séparation purement et simplement mais avec quelles conséquences, le souvenir des guerres de religions étant toujours là. On se croirait donc au M-A où l’émancipation à l’égard d’une tutelle que l’on jugeait trop pesante,  tout en étant en passe de se réaliser, est en même temps constamment mise à mal par les résistances que l’on connaissait par le passé et qui se présentent actuellement sous la forme d'un nouveau défi dans la résurgence du religieux. Le retour du religieux sous la forme très visible de l’Islam et ou sous d’autres formes moins faciles à détecter, mais pas moins présentes de différents courants religieux chrétiens ou encore de sensibilités  dites « irrationnelles », n’a en effet  pas du tout été envisagé par la République dite laïque.

 

Les  effets jugés néfastes provenant d’une telle situation (l’irrationalisme, l’insécurité, la peur de l’autre...)  provoquent des réactions d’autodéfense de la part d'une opinion qui craint qu'elle n'engendre des conflits. La seule solution ‘raisonnable’  éradiquer tout conflit semble être la nécessité d’éradication de toute trace du religieux. Les réactions des enfants des 5-èmes d’un collège privé catholique à la présentation  du christianisme faite  conjointement et en dialogue mutuel par un pasteur et un prêtre en sont une parfaite illustration :  C’est ça la religion chrétienne, la religion basé sur l’amour et respect mutuel ? Alors que nous pensions que le christianisme comme toutes les religions, est source de conflit et engendrent des guerres. Et parallèlement à cette prise de conscience, je voudrais citer une autre expression, celle-ci bien frappée, formulée par un élève à l’autre en cours de la séance au sujet de notre présence : c’est une mafia.  Bien évidemment ce n’est sont pas les enfants qui le disent d’eux-mêmes, en cela ils reflètent le monde d’adulte, ils sont simplement le relais fidèle assurant le colportage  et la transmission d’idées de générations en générations.

 

     La laïcité, revenons-en,  se présente alors comme une supra alternative aux conflits religieux qui réapparaissent. Or ce n’est qu’une alternative idéologique parmi d’autres, car elle implique une vision de l’homme  et un programme à réaliser qui va avec. Aujourd’hui, nous assistons à l’effondrement du socle triangulaire sur lequel la laïcité républicaine était bâtie : travail, progrès, raison. Mais les décombres qui ainsi se déposent  sur l’ensemble des consciences de la vie sociale s’ajoutent aux décombres déjà bien déposés, qui, elles  proviennent de la déconstruction de la vie religieuse dans sa version judéo-chrétienne. Le socle, lui aussi  composé de trois éléments, création, providence, foi, se trouve de ce fait effrité.

 

Nous assistons donc à des mouvements très profonds qui soulèvent les certitudes et déplacent les points de vue.  Tout bouge, on pourrait ajouter comme toujours, ou presque. Le concept de la laïcité et de son application, lui-même bouge aussi.

 

Emile Poulat, sociologue, historien et grand spécialiste de la loi dite de séparation (1905)   s’exprime ainsi dans le journal  La Croix du 22 décembre 2010 :
La ‘laïcité’, ce n’est en France ni la séparation, ni la libre-pensée, ni la tolérance. C’est un régime de liberté, où il est permis à tous d’être et de s’affirmer publiquement, au choix de chacun, croyant ou incroyant ainsi qu’on dit, ou de s’y refuser, à égalité de traitement, sans la discrimination, sous réserve de l’ordre public. (p.25)  

 

Ce n’est pas un régime de séparation, mais plutôt, le régime de  la suppression de la contribution publique au budget des cultes et l’abrogation du concordat, mais maintien de la vie sans divorce possible entre le propriétaire publique et l’affectataire cultuel (idem).  En éclairant de la sorte la question de la république laïque,  Poulat ramène ici le débat au niveau  factoriel qui permet de guérir de bien des velléités d’interprétations hâtives visant à enfermer le concept dans une idéologie irrespirable.

 

Les écoles d’Osny comme tout autre établissement catholique privé, ne sont pas à proprement parler  dans ce cas de figure. Mais si je les mentionne tout de même c’est pour suggérer la possibilité voire même la nécessité de prendre en compte  le principe de la distanciation sans pouvoir consommer la séparation, en quelque sorte ‘sans divorce possible’. C‘est le même principe d’une telle la non-séparation s’applique par extension aux établissements privés sous contrat. Sans me contenter  vouloir donner l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, je subodore qu’il y a de la matière à réflexion. Car  cette non-séparation est fondée et signifiée par  le lien avec l’Etat par l’intermédiaire du rectorat de l’Education nationale. Tout en sachant que, du  point de vue de l’évolution historique, il y a  là un mouvement inverse par rapport à celui de la dite ‘séparation’,  une sorte de rétablissement du lien qui n’existait pas en situation du ‘hors contrat’.

 

Si la loi dite de séparation de 1905, sur le plan strictement formel, a été modifiée  une cinquantaine de fois, sans parler de l’état d’esprit qui évoluait et  qui tout en accompagnant  forcement  ces modifications ne se limitait pas à ces seules évolutions, il est tout à fait légitime de se poser la question des effets de ces  modifications quant au rapport entre l’Etat et l’établissement privé sous contrat, sans négliger là non plus les évolutions qui les accompagnent  dans l'état d'esprit. Alors combien même il serait intéressant et instructif de regarder de près la co-relation entre les instructions provenant de l’Etat directement ou via l’Académie et l’accueil qui leur est réservé pour l’application.   Mais là n’est pas mon propos, car cela deviendrait trop technique et nous éloignerait, je le pense,  de l’axe de la réflexion que je vous propose dans cet exposé.

 

Si cependant je fais ce parallèle, c’est pour dire deux choses :

 

1° Que les grandes lignes, les bases sur lesquelles repose l’édifice de la construction de la vie sociale en France (acceptons cette simplification pour la clarté du raisonnement) par nature plus ou moins fixes, en effet bougent sans cesse, voire on assiste à leur effondrement. Le monde chrétien qui semble être tombé, mais il bouge, la république bien qu’affaiblie bouge, la réalité et la notion de laïcité bougent aussi. Tant qu’ils bougent, ils sont vivants c’est-à-dire ont quelque chose à dire au monde.  Tous les trois on quelque chose à dire chacun pour sa part et conjointement, mais dans ce deuxième postulat ‘conjointement’ est supposé l’éventualité de la rencontre entre eux pour pouvoir d’abord se dire ce qu’ils sont chacun pour sa part et ce qu’ils sont envie de dire à l’autre afin de se dire au sens de se confier, l’un à l’autre.


 
2° Que ces changements sont corroborés par les changements des mentalités sans pour autant que ces dernières s’expriment ni clairement, ni totalement. Nous sommes tous à la fois générateurs d’une telle situation indécise et en même temps  soumis aux effets de ce qui n’est pas clair chez nous ou chez les autres dans notre positionnement vis-à-vis de l‘un ou de l’autre, ou de tous les trois ensembles que sont république la religion et la laïcité.     

 

En constatant tout ce caractère mouvant, je voudrais m’arrêter cependant, fait l’arrêt sur l’image. Car on ne peut pas regarder le mouvement uniquement comme une succession d’images identifiables dans leur singularité les unes par rapports aux autres. Je voudrais donc m’arrêter  sur l’actualité d’une telle évolution concernant la place de la dimension croyante au sein même de la communauté éducative.

 

En d’autres termes, je pose la question du rapport entre ce qui semble fixe, immuable sous forme des lois formellement énoncées ou implicitement supposées, (jusqu’à quel point ? Car les détecteurs  de mesure sont embarqués, comme la caméra embarquée, avec les personnes qui les portent donc du coup les prises de vues bougent et  sont floues), et ce qui est en évolution plus ou moins constante, entre donc ce qui bouge et ce qui ne bouge pas. Un arrêt sur image s’impose donc tout en connaissant malgré tout, et ceci en vertu de l’utilisation d’un artifice de modélisation, aussi le caractère flou d’une telle démarche.  

 

A propos du licenciement,   dans une crèche d’une puéricultrice voilée, par la directrice, un maire, y voyant un vide juridique, propose aussitôt une nouvelle loi « pour que l’on interdise le port  de signes  religieux distinctifs  là où, il y a des enfants ». Je laisse à votre appréciation la portée d’un tel propos.

 

2. La recherche du sens.

 

Comment s’y retrouver ? Car en s’y retrouvant, on se retrouve dans la vie. Et l’on permet aux autres de s’y retrouver.

 

Une hypothèse de travail : le sens, on ne peut pas le trouver tout seul.

 

Ceci est aussi vrai pour s’orienter dans la vie de manière ‘fondamentale’ tout comme dans ce qui l’aide à s’y retrouver, à savoir dans les démarches qui sont accomplies y compris dans la dimension juridique, ainsi par rapport à la loi 1905.

 

Chacun doit se faire sa quête de sens.


 
N’est-ce pas l’objectif de l’éducation  et de l’instruction (à préciser la distinction, mais vous êtes bien placés pour le faire, en pourra y revenir dans la discussion) de l’école républicaine ? La réalisation de cet objectif permet à l’enfant d’accéder à la liberté afin qu’il ne puisse faire dans la vie que  des choix opérés de façon entièrement libre, choix qui ne seraient dictés par personne de l’extérieur, car toute expression contraire limitant la liberté ainsi comprise est une obstruction sur chemin d’une telle liberté.   C’est d’actualité, car c’est que je l’ai entendu dans une émission de radio, très respectable par ailleurs.

 

Ou, en présentant cette conquête  de liberté en d’autres termes, par un autre bien, on pourrait dire que celui qui l’accompagne fait une  démarche heuristique. L’instruction, dans cette vision de l’école républicaine,  fait appel aux savoirs qui sommeillent déjà et la fonction d’éducation se réduit alors à faire advenir à la conscience de l’enfant ce qu’il possède déjà. 

 

Sur ces deux démarches les avis ne sont pas accordés, tout en exprimant cependant le même désir de faire accéder l’enfant à la liberté intérieure et à partir de là, dans la mesure du possible, à la liberté extérieure. Comme si nous y entendions un discours et voyons un texte en copié-collé provenant d’une source chrétienne et y exposant une démarche fondé sur effets de la foi chrétienne (cf. Jean-Paul II). Pas de mal à cela, bien au contraire. En effet comment ne pas se réjouir d’un tel rayonnement ! ?  

 

Toujours est-il que, si chacun doit,  comme le constatent les études de mentalités, « bricoler », à  l’école, comme dans d’autres lieux de la vie, les autres doivent donc  venir en aide, parce que l’on ne fait pas tout, tout seul (fabriquer un marteau et clouer deux planches..).  Le fait de devoir bricoler doit être admis  par tous parce que personne n’entre dans la vie adulte de façon construite. Et ceci est aussi vrai pour la foi, personne n’entre, ne saute à deux pieds joints,  dans une foi construite et présentée comme telle par les autres.

 

En restant sur le plan de l’appréhension générale des données de la foi chrétienne (mais ceci est vrai pour tout autre ensemble social de convictions à transmettre),  on constate que le dogme, au sens de la quintessence d'une quête de sens formulée et présentée comme telle par les autres,  a perdu son sens, au moins pour ceux à qui il s’adresse et c’est déjà beaucoup, sans parler de ceux à qui ils ne s’adressent pas (on pourra y revenir dans le débat), car étant non concerné formellement ne s’en privent pas de le faire savoir ce qui est déjà un certain signe d’attachement, comme le goût de regret mêlé à la saveur d’une vie rêvée et pour autant non-aboutie. 

 

Donc, sur le plan de la foi chrétienne, dans les cas de la transmission désirée,  il faut  que chacun  le trouve par lui-même. Ceci  s’opère au moyen de la conversion du coeur, c’est à dire du regard sur soi et les autres, changement initié par la prise de conscience de la présence d’une réalité aimante que l’on appellerait ‘Dieu révélé en Jésus-Christ grâce à l’Esprit qui donne à vivre’.  S’il faut donc que chacun se « bricole » sa propre quête de sens, en transposant cela sur le plan de la quête de la foi, la question reste  ouverte  et ceci, malgré ce que l’on vient de dire,  pour savoir à partir de quoi d'autre que le dogme  « bricoler »?


 
Pour certains, les Eglises sont réellement en difficulté, pour d’autres seulement elles semblent  en difficulté, en peine, pour remplir ce rôle qui consisterait à permettre à chacun de « bricoler » sa quête de sens, mais à partir de ce que, l’Eglise,  en tant que gardienne du dogme, dispose. C’est un constat pour beaucoup, pour ne pas dire tous, mais c’est aussi une interrogation.

 

Le sens est une matière souple, la vérité (dogme) est rigide.
A chacun sa vérité, même si la base de l’humanisme est supposée communément reçue ; les droits de l’homme par exemple. Mais ce qui semblait hier être de la matière souple, par le processus d’idéologisation se solidifie et finit par être rigide. Le message d’inspiration judéo-chrétienne, mais laïcisé,    n’échappe pas à cette règle.

 

Ce message est donc laïcisé,   en fait  et heureusement ! Car qui se plaindrait de voir le rayonnement d'idéaux aussi nobles que ceux de droit d’égalité et de dignité (là encore comme si j’entendais Jean-Paul II).   Mais il faut bien voir la différence entre l’humanisme et la spiritualité. Si l’humanisme, par la banalisation de ses valeurs, est désormais à la portée de tous, surtout dans ses expressions revendicatrices : l’universalisme par-delà le christianisme, le premier étant désiré par une grande partie de  l’humanité,  cependant pas par tous, le second, le christianisme étant partagé par une plus petite partie.         


 
Par exemple, veiller sur les droits de l’homme, dans l’atmosphère de paix globale cela fait progresser tout le monde et on voit bien certaines avancées du point de vue de la défense de plus faible (SOS enfants en danger, progrès médicaux, lutte contre la malnutrition, équité sociale....). Même si, à côté, on produit sur ce même point, contrairement à toutes les déclarations communément formulées et dans lesquelles la majorité semblent se reconnaître, des effets désastreux pour les plus faibles (ex, les questions de bio-éthiques et/ou écologiques très complexes par le caractère absolument nouveau du positionnement sollicité, en raison des avancées scientifiques conjuguées à la prise de conscience de certains aspects jusqu’alors méconnus.   

     

Le défi qui se pose alors à l’Eglise catholique, pour ce qui nous concerne, propose les valeurs dans un seul langage. Comme dit Schreiber, tout le monde ne chausse pas du 44 et cela pose problème. Car trouver une chaussure à son pied, n’est-ce pas  tout le contraire d’avoir les deux pieds dans le même sabot  ?; l’initiative libérée est à la mesure de l’attente du respect de la singularité de chacun.   

 

Les règles contraignantes créées au M-A  ne prennent plus (messe de dimanche etc).  Elles sont même laissées de côté puisque la liberté à ne pas les suivre s’expriment tout aussi bien, en moins comme en plus; ainsi, il y a des personnes qui viennent à la messe en semaine et pas le dimanche etc.  

 

La transmission du message spirituel se heurte à  deux gros obstacles :

 

La perte de la transcendance et le face à face avec à la mort.
Le premier est un obstacle qui fait d’autant plus apparaître à quel point l’homme bute face à la mort. 

 

Transmettre la vérité ?
Vérité comme relation, respect de l’autre, de la vie ?

 

La vérité individuelle suppose une marge d’adaptation ; les valeurs, on s’y reconnaît plus facilement que dans la vérité.

 

Donc, il  ne faut pas s’accrocher au règlement.

 

Fabrice Aggad va dans le même sens, dans son ouvrage sur ‘L’arrogance des certitudes’ venues de l’intérieur et partagée de l’extérieur (exemple de Mgr Lefèvre). Et pourtant il vaut mieux avoir quelques repères simples et donc clairs, sans pour autant être dans la conviction absolue du bien-fondé des règles, on a besoin à toutes les étapes de la vie et en particulier dans la période de la construction de la personnalité adulte d'acquérir l'autonomie et la responsabilité. Et nous faisons ainsi dans la vie de tous les jours, pourquoi serions-nous différents ici, par rapport à la foi ? Regardons du côté de la Bible, où plus exactement comment peut-on l’aborder comme source à considérer d’a priori comme pouvant nous dire quelque chose de constructif, par exemple par le bien de la manière dont sont racontés dans la Bible les rencontres comme entre Marie et sa cousine Elisabeth.    

 

La narrativité biblique permet  d’accéder à la vie de l’intérieur et à partir de là, de construire ses propres repères qui eux, guideront sur le chemin de la vie, permettront de s’orienter dans la vie; une fois franchie l'étape d’élaboration de ces repères et à partir d’eux, des certitudes s'imposeront, que l’on accueillera comme telles, mais elles seront soumises au postulat de la critique positive. Comme la laïcité du même nom. Elle se déroulera au cours d’une confrontation ‘amicale’ qui nécessairement mène à un  tel « chamboulement ». Les certitudes portent plutôt sur les grandes lignes que sur les détails. Des rencontres ainsi vécues se racontent. Nous sommes alors dans la narrativité.


  
La narrativité permet d’entrer dans la vie au moyen de la dynamique  de la rencontre. Les témoins vont donc conduire au Témoin, le Christ, Lui, témoin de l’amour du Père pour tous. 

 

3. Parler de Dieu, quel sens cela a-t-il ?

 

Tout d’abord,  le verbe ‘parler’ est ici à envisager d'une façon dynamique et la plus large possible. Parler peut vouloir dire exprimer, rendre compte, apprendre, initier et on peut le faire par les paroles, par les attitudes, par la présence  comme par l’absence....  

 

Alors parler de Dieu, quel sens cela a-t-il.
Aucun, si nous n’y sommes pas, mais qu’est-ce à dire que d’y être ?

 

Sinon d’être dans une posture de vérité avec cette dimension pour certains comme réelle, pour d’autres, comme possiblement probable, pour d’autres, comme possible mais improbable, pour d’autres encore comme impossible. Et chacun ira avec ses convictions. Chacun se situera dans un endroit où l’autre, aujourd’hui, pour le moment, se trouve de façon plus ou moins claire et plus ou moins définitive. Et nous voilà en train de faire un arrêt sur l’image de nos vies dans ce domaine. Et celui ou celle qui dirait, ‘je ne vois pas clair du tout c’est un brouillard complet, je ne sais pas où j’en suis avec tout cela...’ est dans la situation où la stabilisation de l’image et la netteté qui va avec, ne sont pas possibles aujourd’hui.

 

Si dans un groupe comme celui d’aujourd’hui nous découvrions que nous sommes majoritaires à constater cet état de choses, il faudrait se poser de sacrées questions, non pas sur le recrutement, mais sur la qualité de l’accueil et de l’accompagnement de la part de ceux qui sont en position de responsabilité à cet égard. Et si je continuais cette fiction en m’attardant sur un tel trouble constaté chez eux, ceux qui accueillent les autres, et peu importe où la chaîne commence, à ce moment là, je me poserais de sacrées questions sur la viabilité d’un établissement catholique privé. Viabilité non pas seulement du point de vue de la réalisation de ses objectifs en vertu du caractère propre de l’établissement.

 

Mais tout autant du point de vue de la réalisation de ses objectifs pédagogiques visant à préparer les élèves à l’autonomie dont j’ai parlé naguère. Car préparer à l’autonomie dans la vie au moyen des procédés de « bricolage » dans un établissement catholique ne peut se faire que sur la base de l’apprentissage à l’autonomie du croyant. Comme ce processus d’autonomisation pourra-t-il se faire sinon au travers de relations confiantes ? Ces relations sont toujours nouées sur un fond de sincérité du positionnement et dans la démarche active auprès de l’élève. La sincérité suppose  la transparence. Et c'est là un gros noeud que l’on a du mal à défaire. Car dans le sillage d’un effondrement des socles sur lesquels on bâtissait la société,  se trouve entraînée  la dépréciation de la valeur propre  des autorités  institutionnelles.

 

Et les exemples ne manquent pas  pour étayer cette thèse d’effondrement. Le soupçon règne, l’enfant, comme l'adulte  doit se méfier de tout; il est fini le temps de l’insouciance, où la grande-mère en se promenant dans la rue ou assise sur un banc dans un parc, pouvait s’adresser aux inconnus et caresser la tête d’un bébé soigneusement déposé et sagement reposant dans un landau. Fini le temps où les parents savent ce qu’ils font quand ils décident pour leurs enfants. Il y a toujours une possibilité de les contredire, et cette possibilité est déjà présente en eux-mêmes. C’est pareil pour l’école ! Et le déficit se creuse encore davantage lorsqu’il s’agit d’un établissement catholique privé. C’est pareil pour l’Eglise, tout comme la République etc.  On n’en est plus au crédit à taux zéro mais au crédit négatif, très négatif. ‘Prouvez-moi d’abord que ce que vous avancez, en formulant  de bonnes intentions à l’égard de l’enfant que l’on s’apprête à vous confier, et puis on verra par la suite’.

 

Le crédit de confiance est à reconstituer afin que le soupçon de tout et contre tout ne continue plus à infecter les pensées et à paralyser les décisions. Comme c’est difficile de signifier, donc de témoigner de la dimension croyante, et peu importe où, avec ses exigences particulières. Comme si la logique de la suspicion prévalait sur la logique de la confiance ?

 

Parler de Dieu, évidemment c’est déjà énorme, mais ceci ne peut se faire autrement qu’à condition de parler à Dieu. Mais qui va le faire ? Ceux qui n’y croient pas ? Ceux qui voudraient bien y croire mais qui,  sans trop réfléchir juste par le mouvement de la vie dont le quotidien est déjà si difficile à assumer, mettent parfois tellement de conditions préalables que l’affaire est « cuite d’avance »? Ceux qui croient savoir le faire et le font si mal que rien de bon ne se produit ?

 

Donner du sens à tout cela pour que les jeunes trouvent du sens pour eux, c’est « bricoler » de façon responsable, donc en adultes.

 

Trois domaines dans un établissement, comme je l’ai lu dans le projet de votre établissement: professionnel, cultuel, spirituel.  

 

La question que l’on pourrait se poser c’est de savoir qu’est-ce qui prime parmi ces trois domaines? Le premier dit l’objectif de l’établissement, le troisième l’état d’esprit, l’attitude profonde au sens le plus absolu du terme, et le second, le cultuel, permet la jonction entre les deux. Arrêtons-nous quelques instants sur cette jonction, justement : Est-ce si sûr que le cultuel permet cela ? Pas sûr du tout, car il y a aussi du culturel qui est à la fois l’englobant du cultuel (il n’y a pas de culte sans culture de rite etc.)  et qui en même temps se pose  en concurrent du cultuel. Et ceci dans la mesure où les démarches culturelles ont leur propre vitalité, ce qui est facile à constater, mais aussi dans la mesure où les dimensions cultuelles ne sont pas seulement soutenues par les apports culturels, et parfois par des influences culturelles travesties, voire  dénaturées et donc déviées de leur objectif premier qui est de ‘permettre à l’homme débout de rendre gloire à Dieu vivant’. 

 

Face à cette difficulté, souvent on essaie de résoudre le problème, en soupoudrant le culturel par le cultuel. Ainsi par exemple, dans son expression caricaturale qui n’existe jamais dans la réalité mais parfois on s’en approche à grand pas, les professions de foi sont d’abord des faits marquants du point de vue culturel, auxquels on tente de donner une sorte de polissage cultuel à  l’aide d’un sucre glacé  de la robe blanche et ce qui va avec. Mais c’est « gros comme une maison », le sucre glacé fond vite, comme la neige, entre 0 et 3 °C.   Même si cela est probablement mieux que rien,  s’y arrêter permet de voir de plus près les détails et ainsi de renseigner sur les motivations réelles. Bien sûr, elles peuvent changer en bien, ce que l’on espère, mais tout est une question de proportion; il est relativement facile de cacher un tel trouble s’il apparaît chez quelques-uns, mais cela devient  très visible lorsque la majorité se trouve dans un tel cas.


 
Comment donc donner du sens à quelque chose qui n’est que spirituel ? C’est une question sur le caractère performatif et il est légitime de la poser seulement dans le cadre des expressions cultuelles, pas dans le cadre des réflexions sur le for intérieur de chacun, car ceci reste de l'ordre de l’intime entre le croyant et la réalité spirituelle dont il reconnaît l’existence.

 

Le cultuel comme expression cultivée du religieux (célébrations, les commémorations etc.) ne prend pas plus que l’annonce catéchétique. Pourquoi ? Pas uniquement, mais également, parce que, dans la mentalité occidentale, (et les immigrés venus de pays où la foi chrétienne est plus ou moins naturellement présente dans la société, apprennent vite la leçon)  nous avons affaire à l’existence d’une couche très épaisse et très résistante d’une sorte de vernis très particulier ? C’est un vernis qui recouvre la totalité de la pensée occidentale et cela, dès le plus jeune âge. Il empêche toute emprise de la dimension croyante. Il est très résistant. Et même si cette emprise prend parfois, l’entreprise est vite vouée à l’échec, étant donnée qu’un autre obstacle apparaît. Car dans le vernis, il y a un virus, celui de soupçon. Comment instaurer une relation de confiance ? 

 

Trois étapes semblent se dessiner sur le chemin : d’abord en voir l’intérieur, puis vérifier  le désir et enfin se donner les moyens pour la réaliser.

 

***

 

Suit la citation du livre sur St Vincent Pallotti et sa vision de la coopération entre les ecclésiastiques et les laïcs grâce à laquelle il a favorisé le renouvellement de la vision de l’Eglise, telle qu'elle s’est opérée au Concile Vatican II.

 

Et ainsi s'ouvre la discussion.

 

 


 

In : Stanislas Stawicki,  La coopération, passion d’une vie. Vie et une manière de vivre de Vincent Pallotti (1795-1850), fondateur de l’Union de l’Apostolat catholique.  Chapitre III, « Interprète d’une nouvelle conception de l’Eglise », p. 171-173.

 Vat II, décret sur l’apostolat des laïcs, no 12, 23, 25, 26, 27, 30 et déclaration sur l’éducation chrétienne, no 8. : ‘que les maîtres n’oublient pas,  c’est d’eux dépend que l’école catholique soit en mesure de réaliser  ses buts et ses desseins’

 

Rémy Kurowski